jeudi 31 août 2006

1271 - "Cette constante sous-estimation du potentiel ennemi tourne progressivement au grotesque et devient dangereuse"

... La décision de Hitler de précipiter les événements en modifiant radicalement le plan de bataille constituait, sur un terrain aussi disputé que le Front de l'Est, une véritable aberration stratégique.

Concrètement, la plupart des Panzers prévus pour l'offensive vers Stalingrad fut directement envoyée vers le Caucase, laissant à la seule VIème armée de Paulus - quasiment dépourvue de chars et déjà privée du soutien de la XIème armée (partiellement démantelée) de Manstein (quant à lui envoyé à Leningrad) - le soin de s'emparer de Stalingrad à elle seule.

Quelques jours plus tard, Hitler décida d'éparpiller encore davantage les faibles effectifs dont Paulus disposait : après avoir pris et occupé Stalingrad, la VIème armée devait en effet envoyer des troupes jusqu'à la Mer Caspienne, tandis que le Groupe d'Armées B pousserait jusqu'à la Mer Noire.

"Lorsqu'il reçut cet ordre [le maréchal] List n'en crut pas ses yeux. Il ne pouvait en conclure qu'une chose, à savoir que Hitler possédait, sur l'effondrement de l'Armée rouge, des renseignements qu'il n'avait fait partager à personne. Dans le même temps, on apprenait que la XIème armée de Manstein (...) était envoyée à Leningrad et que les division [SS] Grossdeutschland et Leibstandarte (1) étaient réexpédiées en France. "Cette constante sous-estimation du potentiel ennemi, écrivit alors le [maréchal] Halder dans son journal, tourne progressivement au grotesque et devient dangereuse" (2)

Il ne croyait pas si bien dire...

(à suivre)

(1) garde personnelle du Führer, et composée de soldats d'élite recrutés sur des critères raciaux (en particulier sur leur grande taille) la Leibstandarte Adolf Hitler était à Hitler comme autrefois les Prétoriens aux César
(2) ibid, page 116-117

mercredi 30 août 2006

1270 - bis repetita

... Au début, et comme à l'été précédent, l'avance des troupes allemandes s'effectua avec une grande facilité.

"Nous foncions droit devant nous avec enthousiasme", expliqua un jeune lieutenant de Panzer, avant d'ajouter "et cependant, nous savions que l'ennemi allait attaquer dès l'hiver venu (1)

Comme à l'été précédent, les Russes en retraite continuaient de brûler systématiquement tout ce qu'ils ne pouvaient pas emporter avec eux,... et les Allemands de piller tout aussi systématiquement ce que les Russes n'avaient pas réussi à brûler.

Et comme à l'été précédent, l'avance initiale finissait par marquer le pas sur l'agenda qui, comme à l'été précédent, avait été rédigé de manière bien trop optimiste pour une armée cheminant encore plus qu'avant à pied et à cheval.

"Hitler s'impatientait de plus en plus des retards (...) Cette impatience le poussa au plus désastreux des changements de plan, avec, à la clé, une perte supplémentaire de temps et de carburant. Le stade intermédiaire de l'Opération bleue consistait en une avance rapide de la VIème armée et de la IVème armée blindée vers Stalingrad (...) avant de lancer une attaque contre Rostov et, au delà du Don, vers le Caucase. Mais Hitler avait une telle hâte de voir se réaliser cette dernière opération qu'il décida que les deux phases auraient lieu simultanément. Cela eut pour effet de réduire considérablement la concentration des forces. (2)

(1) Beevor, page 114
(2) ibid, page 116-117

mardi 29 août 2006

1269 - le "problème Hitler"

... Un chef doit savoir s'écarter du plan de bataille pour saisir l'opportunité lorsqu'elle se présente sur le terrain. Mais il doit aussi se donner le temps de concrétiser celle-ci avant de courir un nouveau lièvre.

Quoi qu'on ait prétendu par la suite, Hitler avait bel et bien le sens de l'opportunité - sa carrière politique en témoigne - mais celui-ci demeurait bien plus intuitif que rationnel, et manquait singulièrement de constance.

Déjà, au cours de l'été et de l'automne 1941, le Führer était personnellement intervenu pour modifier les axes d'attaque au gré de ses "intuitions", avec des conséquences souvent dommageables. Son auto-promotion au titre de commandant-en-chef des armées, le 19 décembre 1941, ne devait qu'aggraver cette tendance.

Ainsi, plutôt que de laisser la XIème armée de Manstein soutenir l'offensive de Paulus dans le Caucase - comme il l'avait lui-même décidé en juin - il décida un mois plus tard, aussitôt Sébastopol tombée,... de démanteler la XIème armée et de confier à Manstein le soin de s'emparer de Leningrad,... 2 000 kms plus loin. Et quand Manstein fut enfin prêt à passer à l'offensive, l'encerclement de la VIème armée de Paulus à Stalingrad poussa Hitler à envoyer ce même Manstein à sa rescousse - mais n'anticipons pas.

La grande offensive vers le Caucase devait débuter le 28 juin 1942. Le 19, cependant, un petit Fieseler-Storch fut abattu derrière les lignes soviétiques. A l'intérieur de l'épave, les Russes récupérèrent les plans complets de l'opération, qu'un officier allemand imprudent avait emporté avec lui, au mépris de toutes les consignes de sécurité. Hitler écumait d'autant plus qu'il était cette fois hors de question de modifier les plans opérationnels, commme on l'avait fait lors d'un incident similaire survenu en Belgique, deux ans auparavant (1)

Heureusement, la paranoïa de Staline ne le disputait qu'à celle de Hitler : lorsqu'il entra en possession des documents, le Petit Père des Peuples était tellement convaincu d'assister à une nouvelle offensive sur Moscou qu'il ne vit en eux qu'une grossière tentative des Allemands pour le pousser à dégarnir les défenses de la ville. Le plan de défense soviétique ne fut donc pas modifié, ce qui permit aux Allemands de lancer leur offensive comme prévu, le 28 juin...

(1) le 10 janvier 1940, un avion de liaison allemand qui s'était égaré en Belgique dut effectuer un atterrissage forcé à Mechelen. La première mouture du plan d'invasion - ou "plan jaune" - tomba aux mains des Belges, qui la communiquèrent aux services de renseignement français

lundi 28 août 2006

1268 - la chute de Sebastopol

... À l'automne 1941, la XIème armée de Manstein avait envahi la Crimée. Mais la résistance acharnée des Soviétiques, et la venue de l'hiver, l'avaient empêchée de s'emparer de la ville et de la citadelle de Sébastopol, verrou stratégique essentiel entre la Mer Noire et la Mer d'Azov.

A tort ou à raison, Hitler estima, à la veille de sa grande offensive dans le Caucase, qu'il ne pouvait laisser peser pareille menace sur son flanc sud.

Pour réduire la forteresse de Sébastopol, considérée comme la plus puissante d'Europe, il envoya à Manstein les plus gros canons du monde, soit plusieurs exemplaires du mortier Karl (1) - qui tiraient à 4 000 mètres un projectile de plus de deux tonnes, et le tout nouveau canon Dora, un monstre de 30 mètres de long et de 1 350 tonnes, qui expédiait à 60 kms un obus de 7 tonnes (2)

Rétrospectivement, Manstein lui-même reconnût que ces canons géants n'avaient jamais justifié le temps et les moyens nécessaires pour leur mise en œuvre : Dora à lui seul ne pouvait en effet voyager qu'en pièces détachées, par trains spéciaux, ce qui imposait un remontage qui durait plusieurs semaines et mobilisait plus d'un millier d'hommes.

Avec pareille artillerie, et l'appui de près de 1 300 canons plus conventionnels - soit une moyenne de 6 canons au kilomètre - Manstein finit par s'emparer de la place, qui tomba le 01 juillet 1942. Plus aucune autre offensive de la Wehrmacht ne devait par la suite mobiliser pareille concentration d'artillerie, laquelle demeura pourtant faible dans l'absolu puisque, lors de leur offensive finale sur Berlin, les Russes installèrent un canon tous les quatre mètres !

La prise de Sebastopol, et la capture de 95 000 soldats russes supplémentaires, valut à Manstein sa promotion au titre de Feld-Maréchal.

Elle lui valut aussi de se voir expédié à plus de 2 000 kilomètres de là : fou de joie à l'annonce de la chute de Sebastopol, Hitler venait subitement de réaliser que Manstein était décidément l'homme-miracle qui lui fallait pour s'emparer de Leningrad, contre laquelle ses troupes butaient depuis plus d'un an.

Loin de prêter main-forte à la VIème armée de Paulus, comme il était prévu à l'origine, la XIème armée fut alors démantelée, et ses principales unités réparties ici et là. Avec Manstein et la XIème armée, le sort de Paulus à Stalingrad eut peut-être été différent...

(1) Saviez-vous que... No 118
(2) Saviez-vous que... No 119

dimanche 27 août 2006

1267 - le massacre de Kharkov

... Le 05 avril 1942, Hitler dicta ses derniers ordres pour la campagne qui devait "assurer la victoire finale à l'Est".

Aux trois grands axes de pénétration de l'été 1942, s'était substituées deux opérations distinctes. La première, dite "Lumière du Nord" était censée conclure le siège de Léningrad, qui durait depuis huit mois. La seconde, ou "Opération bleue", visait le Sud de la Russie, et le pétrole du Caucase.

"La première phase de l'Opération bleue devait consister à prendre Voronej. La deuxième visait à enfermer le gros des forces soviétiques par un vaste mouvement en tenaille à l'Ouest du Don. (...) A ce stade, une poussée sur Stalingrad n'avait d'autre but que d'éliminer les usines d'armements qui s'y trouvaient et de s'assurer une position sur la Volga. La prise de la ville elle-même n'était pas considérée comme nécessaire" (...) Hitler était si certain du succès dans la campagne du Sud qu'il entendait, dès que Sébastopol serait tombé, envoyer vers le Nord la XIème armée de Manstein. Il avait même évoqué avec celui-ci la possibilité d'envoyer, par le Caucase, des colonnes blindées jusqu'en Inde et jusqu'au Proche-Orient" (1)

Mais si le Führer proposait, c'étaient bel et bien les Russes qui disposaient. Le 12 mai, avec 600 000 hommes et plus de 1 200 chars, Timochenko était parti à l'offensive dans la région de Kharkov, forçant le général Paulus, tout juste nommé à la tête de la VIème armée allemande, à battre en retraite. Heureusement, la magistrale intervention des Panzers de Kleist parvint non seulement à rétablir la situation, mais aussi à piéger les Soviétiques dans une gigantesque nasse.
A cette occasion, un adjudant allemand de la 389ème division dut faire à un ennemi inattendu : "un bataillon de femmes-bandits menées par une rouquine. (...) Les méthodes de combat de ces bêtes femelles se sont révélées traîtresses et dangereuses. Elles se cachent au milieu des meules de paille et nous tirent dans le dos dès que nous les avons dépassées" (2)

Les combats firent rage pendant plus d'une semaine, mais se terminèrent par une nouvelle débâcle de l'Armée rouge, qui y laissa quelque 300 000 morts et blessés, 240 000 prisonniers, et la quasi-totalité de son artillerie et de ses blindés.

Même si ses propres pertes atteignaient 20 000 hommes, la balance penchait très nettement en faveur du général Paulus, qui se vit encenser par la Presse allemande, et décoré de la Croix de Chevalier par le Führer...

(1) Beevor, page 106
(2) ibid, page 101

samedi 26 août 2006

1266 - "Si je n'obtiens pas le pétrole de Maïkop et de Grozny, je dois finir cette guerre"

... En 1941, sur le seul Front de l'Est, l'armée allemande avait perdu un million d'hommes (tués, blessés ou faits prisonniers), plus de mille sept cents avions, et des milliers de tanks et de véhicules divers.

Au printemps de 1942, en grattant tous les fonds de casernes, les pertes humaines n'avaient pu être remplacées qu'à raison de 50% et il en allait de même pour celles de la Luftwaffe. Seuls 10% des véhicules perdus avaient été remplacés - ce qui condamnait plus que jamais le soldat allemand à marcher - et si les unités blindées avaient retrouvé leur dotation initiale, leurs tanks étaient toujours incapables de rivaliser avec les T-34 russes (1)

Quelle que soit la manière dont on envisageait le problème, l'armée allemande de 1942 était moins forte que celle de 1941, alors qu'on attendait d'elle qu'elle gagne une guerre que sa devancière n'avait pu remporter.

L'affaire s'annonçait d'autant plus mal pour elle qu'elle ne pouvait plus compter sur l'effet de surprise : cette fois, l'adversaire était sur ses gardes, plus ou moins au courant des intentions allemandes, et pouvait quant à lui compter sur des effectifs non seulement plus étoffés, mais aussi plus aguerris et mieux équipés qu'en 1941.

A tous égards, Hitler faisait donc preuve d'un optimisme délirant en martelant sans cesse que le Russe était "fini" et qu'un dernier effort en viendrait à bout. D'un autre côté, le Führer n'avait pas vraiment le choix : chaque semaine qui passerait ne ferait qu'affaiblir l'armée allemande et renforcer ses adversaires russes.

Pour conserver la moindre chance de l'emporter, il fallait renoncer à toute idée d'attaquer sur un large front, de la Finlande à la Mer Noire (comme on l'avait fait en 1941), renoncer à s'emparer de Moscou, et concentrer au contraire l'essentiel des moyens vers l'objectif considéré commme le plus vital - le pétrole du Caucase.

"Si je n'obtiens pas le pétrole de Maïkop et de Grozny, je dois finir cette guerre", déclara Hitler le 01 juin 1942, juste avant son dernier grand coup de dés...

(1) au moins égaux aux T-34, les Panther et Tiger n'apparurent, en petit nombre, qu'en 1943

vendredi 25 août 2006

1265 - à qui la palme ?

... si les Juifs soviétiques, incapables de se défendre et traqués comme des bêtes par les hommes des Einsatzgruppen, des bataillons de police ou de l'armée régulière, si les Juifs soviétiques étaient assurément incapables d'appliquer à l'endroit de leurs bourreaux la "Loi du Talion" à laquelle se référait pourtant Hitler pour justifier leur extermination, il en allait tout autrement des soldats de l'Armée rouge.

Dès le début des combats, et durant les quatre années qui suivirent, la Guerre à l'Est ne fut qu'une suite ininterrompue de massacres abjects, ou chacun des deux camps semblait rivaliser d'ardeur afin de remporter la palme de la cruauté la plus gratuite ou de la tuerie la plus inutile.

Traitant leurs millions de prisonniers soviétiques pires que des chiens, les soldats allemands n'hésitaient jamais à les abattre sur place s'ils s'avéraient trop malades ou simplement trop fatigués pour marcher. Le 3 septembre 1941, 600 de ces malheureux avaient même eu le douteux privilège d'inaugurer les installations de gazage d'Auschwitz.

Sur les quelques 6 millions de soldats soviétiques capturés tout au long de la guerre, la moitié mourut de faim, de maladie ou de mauvais traitements.

Les Russes, qui n'avaient par ailleurs pas ratifié la Convention de Genève, n'étaient évidemment pas en reste.

"Pour les partisans et les commandos de l'Armée rouge, les trains-hôpitaux étaient considérés comme des objectifs parfaitement légitimes, et peu d'aviateurs soviétiques épargnaient les ambulances ou les hôpitaux de campagne. (...) La pire atrocité eut lieu le 29 décembre 1941, lorsqu'un hôpital de campagne allemand fut pris par les Russes à Fedosia, sur la côte de Crimée. Les fusiliers-marins soviétiques, dont beaucoup apparemment étaient ivres, massacrèrent quelque 160 blessés allemands. Ils en jetèrent un certain nombre par les fenêtres. D'autres furent traînés dehors, arrosés d'eau et laissés là afin qu'ils gèlent à mort" (1)

C'est dans cette saine ambiance que Hitler décida de repartir à l'attaque, au printemps suivant...

(1) Beevor, page 94

jeudi 24 août 2006

1264 - le retour de la "question juive"

... L'entrée en guerre des Etats-Unis, et l'échec, au moins relatif, de l'offensive à l'Est, ramenèrent rapidement au premier plan le problème, toujours non résolu, de la "question juive".

Le 30 janvier 1939, Hitler avait déclaré "Je veux être à nouveau prophète : si la juiverie internationale, en Europe et à l'extérieur, devait parvenir à plonger une fois de plus les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait non pas la bolchevisation de la terre et donc la victoire de la juiverie, mais l'anéantissement de la race juive en Europe"

Deux ans plus tard, jour pour jour, le Führer se fit plus menaçant encore. "J'ai déjà déclaré (...) que cette guerre ne se finira pas comme les Juifs l'imaginent, par l'extermination des peuples aryens d'Europe, mais que le résultat de cette guerre sera l'anéantissement de la juiverie. Pour la première fois, la vieille loi du Talion va être maintenant appliquée : œil pour œil et dent pour dent" (1)

Pour Hitler et ses partisans, il était devenu évident que tout espoir de déporter l'ensemble des Juifs d'Europe vers un territoire suffisamment lointain et insalubre de l'URSS, et ce dans un délai raisonnable, avait disparu,... ce qui reposait donc avec acuité le problème des ghettos - et en particulier de ceux du Gouvernement général de Pologne - dans lesquels croupissaient des millions de Juifs affamés.

L'exil forcé et la "relocalisation" étant désormais exclus, et la victoire finale rien moins qu'incertaine, ne restait que la solution la plus radicale : celle des "camps de travail" où les conditions seraient suffisamment pénibles pour que les Juifs y meurent en grand nombre.

Dix jours auparavant, dans une cossue villa de Wannsee, en banlieue de Berlin, une trentaine de haut-fonctionnaires et de responsables SS, placés sous la direction de Reynhard Heydrich, s'étaient réunis afin de mettre au point les derniers détails de la "Solution finale à la question juive" (2)

La route d'Auschwitz était ouverte...

(1) Kershaw, page 671
(2) Saviez-vous que... - 1002 à 1005

mercredi 23 août 2006

1263 - sed perseverare diabolicum

... En attaquant l'Union soviétique au printemps 1941, Hitler avait gravement sous-estimé le potentiel humain et industriel de son adversaire.

En déclarant la guerre aux États-unis, le 11 décembre 1941, le Führer répéta tout bonnement la même erreur.

Hitler s'était en effet convaincu que la lutte contre le Japon mobiliserait toutes les ressources de l'Amérique, et la détournerait pour longtemps de l'Europe, lui laissant, à lui Hitler, le temps nécessaire pour en achever la conquête et la transformer en inexpugnable forteresse autarcique.

"Quel que fut le mépris de Hitler, il ne connaissait pas le moyen de vaincre les États-unis. Et si la victoire définitive sur l'Union soviétique ne venait pas rapidement, les formidables ressources de l'Amérique pèseraient bientôt dans la balance. Hitler devait maintenant placer ses espoirs dans les Japonais, qui pouvaient sérieusement affaiblir les Britanniques et enfermer les États-unis dans le conflit du Pacifique. Mais il ne pouvait plus s'en remettre à la seule force des armes allemandes. Il avait toujours prédit que, dans sa course à la suprématie, le temps jouait contre l'Allemagne. Ses propres actions, plus que celles d'aucun autre, avaient fait en sorte que tel était bien le cas maintenant" (1)

Mais Hitler était incapable d'imaginer que les Américains, ce peuple qu'il qualifiait volontiers de "dégénérés", avaient bel et bien les moyens de mener une guerre sur deux Fronts éloignés de plus de 10 000 kms l'un de l'autre, et même - comme Roosevelt l'avait promis à Churchill - de donner la priorité au Front européen plutôt qu'à celui, autrement plus vital pour eux, de l'Asie-Pacifique...

(1) Kershaw, page 670

mardi 22 août 2006

1262 - "Nous avons maintenant un allié qui n'a jamais été conquis en trois mille ans"

... Le 7 décembre 1941, alors que la contre-offensive soviétique en était à son deuxième jour, les forces armées japonaises attaquèrent les îles Hawaï, précipitant l'entrée en guerre des Etats-Unis.

L'annonce de cette attaque galvanisa le Führer. "Nous ne pouvons pas perdre cette guerre", s'exclama-t-il. "Nous avons maintenant un allié qui n'a jamais été conquis en trois mille ans" (1)

Dans l'esprit de Hitler, les Américains seraient en effet tellement occupés dans le Pacifique qu'ils ne pourraient plus intervenir en Europe, ni même continuer à consacrer autant d'efforts à soutenir une Grande-Bretagne qui, pour voler à la rescousse de ses propres possessions extrême-orientales, se verrait elle-même contrainte d'affaiblir sa situation militaire à l'Ouest.

Stricto sensu, rien n'obligeait Hitler à déclarer la guerre aux Etats-Unis. Bien que le Pacte tripartite eut prévu une assistance mutuelle entre le Japon, l'Italie et l'Allemagne en cas de conflit, celle-ci était d'autant moins contraignante que la diplomatie allemande, à commencer par Hitler, ne s'était jamais caractérisée par son respect des traités signés.

Le jeudi 11 décembre, dans son discours devant le Reichstag, Hitler annonça néanmoins sa décision de déclarer la guerre qui, du même coup, devint véritablement mondiale

(1) Kershaw, page 649

lundi 21 août 2006

1261 - la loi du nombre

... Les soldats allemands étaient meilleurs - probablement les meilleurs du monde - ils étaient mieux commandés, et ils disposaient généralement d'armes plus performantes que celles de leurs adversaires. Ils furent pourtant vaincus.

Depuis trois générations, de multiples explications ont été avancées pour expliquer l'incroyable épopée d'une Nation qui, après avoir remporté d'immenses victoires sur ses adversaires, et spectaculairement étendu son territoire - particulièrement à l'Est - fut finalement contrainte à l'arrêt, puis à une lente et inexorable retraite, avant de finir laminée, en ruines, et occupée par ses adversaires.

Des erreurs de Hitler aux caprices de la météo, en passant par la malchance, les trahisons, le décodage allié des transmissions ENIGMA allemandes, le sacrifice insensé de millions de soldats de l'armée rouge, ou encore le manque de pétrole, toutes ses explications ne seraient rien sans la pure et simple loi du nombre : l'Allemagne, tout comme le Japon, fut vaincue parce qu'elle n'avait pas assez de soldats pour remplacer ceux tués au Front, pas assez d'aviateurs pour prendre la relève de ceux disparus au combat, pas assez de tanks, de canons ou d'avions pour affronter ceux de ses adversaires.

La "volonté" des hommes, le sens tactique des officiers, la qualité du matériel et même la venue d'armes "miracles" - comme les fusées ou les avions à réaction - ne pouvaient emporter la décision sur des adversaires qui alignaient cinq ou dix fois plus de soldats, de tanks ou d'avions et qui, malgré tout, finissaient - particulièrement du côté russe - par apprendre de leurs erreurs et à utiliser troupes et matériels plus intelligemment qu'au début.

A la fin de la guerre, les Alliés occidentaux et soviétiques parviendraient à employer aussi efficacement que les Allemands le binôme tanks/avions. Et comme leur industrie pouvait en produire bien davantage que l'industrie allemande, l'issue ne faisait aucun doute.

Un chiffre résume à lui seul ce constat : bien qu'ayant perdu plus de 16 000 appareils, l'aviation soviétique était, à la fin de 1941, plus puissante que l'aviation allemande, qui avait pourtant perdu sept fois moins d'appareils (!) mais dont l'industrie ne parvenait plus à compenser les pertes.

Même s'il refusait de les admettre en public, Hitler ne pouvait ignorer des chiffres que l'entrée en guerre des Etats-Unis (7 décembre 1941) ne pourraient qu'aggraver.

Comprenant que le temps jouait plus que jamais contre lui, il décida de se lancer dans un nouveau pari : celui d'achever la conquête de l'URSS avant la fin de 1942, c-à-d avant que les ressources matérielles des Etats-Unis ne fassent définitivement pencher la balance en faveur des Alliés...

dimanche 20 août 2006

1260 - en attendant la 2ème mi-temps

... À la mi-janvier 1942, les positions des uns et des autres étaient à peu près stabilisées et chacun retenait son souffle, dans l'attente de la 2ème mi-temps.

A sa manière chacun des deux adversaires avait ses propres raisons de crier victoire.

Côté allemand, et malgré un recul qui, en certains endroits, atteignait plus de 100 kilomètres, l'armée occupait toujours une grande partie du territoire soviétique, continuait d'encercler Leningrad et de menacer les richesses pétrolières du Caucase. Et si les pertes avaient été beaucoup plus élevées que prévues à l'origine, du moins pouvait-on penser que le retour des beaux jours, ainsi que la venue de renforts et de matériels nouveaux, permettraient de repartir à l'offensive et de contraindre la Russie sinon à la capitulation, du moins à une paix négociée laissant à l'Allemagne l'essentiel du fruit de ses rapines.

Côté russe, et malgré des pertes qui auraient été considérées comme insupportables pour n'importe quel pays occidental, la panique des premiers jours avait cédé la place à un raisonnable optimisme : l'avance allemande avait été brisée, et même si la contre-attaque de l'hiver n'avait pas tenu tous les espoirs placés en elle - il s'en fallait même de beaucoup - elle avait du moins permis de sauver Moscou, dont Hitler ne chercherait plus jamais à s'emparer.

Si le bilan militaire paraissait donc équilibré, le temps et la simple loi du nombre jouaient clairement en faveur de Staline, dont la situation ne pourrait que se renforcer au fil des mois, à mesure que l'industrie soviétique - dont la plus grande partie avait été déménagée sous les bombes et expédiée au delà de l'Oural - parviendrait à remplacer les équipements détruits et à en doter une armée qui, démographie oblige, serait toujours plus nombreuse que celle de Hitler...

samedi 19 août 2006

1259 - l'ivresse de la victoire

... "Impossible de le nier", écrivit Paul Karl Schmidt (alias Paul Carell) : "Hitler et Staline luttent de vitesse, à coups de décisions erronées et fatales; c'est à celui des deux qui fera commettre à son État-major les plus lourdes fautes"

Et de fait, après la grave sous-estimation par Hitler du véritable potentiel de l'armée soviétique, et ses interventions aussi constantes qu'inopportunes dans la conduite des opérations sur le terrain, qui amenèrent finalement l'armée allemande à retraiter devant Moscou, ce fut au tour de Staline de sous-estimer la capacité de résistance des Allemands et de se laisser aller à l'ivresse d'une victoire apparemment facile.

Encouragé par le formidable succès de la contre-attaque qui, en quelques semaines, avait repoussé le groupe d'armée centre sur près de 160 kms, le Petit Père des Peuples en arriva à la conclusion qu'avec quelques effort et, là encore, beaucoup de "volonté" supplémentaires, il pourrait tout aussi bien raccompagner les Allemands jusque Berlin, et gagner la guerre à lui tout seul.

Le 5 janvier 1942, il réclama rien de moins qu'une offensive de grande envergure tant vers le Nord et Leningrad, que vers le Sud et la Crimée. En vain Joukov tenta-t-il d'attirer son attention sur l'impossibilité matérielle d'une telle entreprise, avec des troupes épuisées, trop peu nombreuses et encore mal équipées.

Après quelques jours, la grande offensive de Libération dégénéra en une succession d'escarmouches indécises et sans orientation précise, qui virent des milliers d'hommes mourir en pure perte, avançant et reculant au fil des attaques et contre-attaques.

Pour finir, le Petit Père des Peuples décida de jeter l'éponge et de laisser aux seuls généraux le soin de mener la guerre sur le terrain.

Paradoxalement, la stabilisation progressive du Front, à partir de la mi-janvier 1942, persuada au contraire Hitler de la pusillanimité de ses propres généraux et du fait que c'était lui, et sa seule "volonté", qui avait réussi à briser la malédiction napoléonienne, et permis aux armées allemandes de tenir des positions finalement favorables à la reprise des hostilités dès le retour du printemps...

vendredi 18 août 2006

1258 - l'affaire de Demiansk

... Soixante ans plus tard, la décision de Hitler de "tenir le Front à tout prix" au cours de l'hiver 1941-1942 continue de diviser les historiens, entre ceux qui la considèrent comme la seule chose qu'il était possible de faire pour éviter à l'armée allemande une nouvelle Berezina, et ceux qui n'y voient qu'un sacrifice aussi inutile qu'inhumain d'hommes et de matériels; entre ceux qui louent le "réalisme" d'Adolf Hitler et ceux qui remarquent qu'un Manstein plus imaginatif devait, au cours des deux années suivantes, parvenir à un résultat analogue mais en sauvant bien plus de vies humaines.

Petit à petit, néanmoins, et bien qu'au prix de pertes très élevées, la résistance acharnée des Allemands finissait par émousser les attaques soviétiques. Là où elles n'étaient pas autorisées à retraiter, les troupes allemandes combattaient en effet jusqu'au bout et réussissaient même, parfois, par reprendre le terrain perdu.

Ainsi en fut-il des 100 000 hommes retranchés à Demiansk qui, dans cette sorte de Bastogne avant l'heure, parvinrent à immobiliser plusieurs armées soviétiques jusqu'à ce qu'ils soient secourus, en avril 1942. A raison de plus de 100 vols par jour, la Luftwaffe leur avait apporté 60 000 tonnes de vivres et de munitions, et avait évacué 35 000 blessés.

Remarquable en soi, ce "pont aérien" n'en avait pas moins considérablement entamé le potentiel d'une Luftwaffe déjà exsangue : pour ravitailler la poche de Demiansk, la Luftwaffe avait en effet dû mobiliser plus de 400 avions... et avait perdu dans l'opération quelque 120 trimoteurs JU-52 impossibles à remplacer (!)

Surtout, l'affaire de Demiansk renforça Hitler dans sa conviction que même les troupes les plus encerclées pouvaient remporter la victoire moyennant un ravitaillement aérien et beaucoup de "volonté" ce qui, un an plus tard, devait avoir des conséquences tragiques, à Stalingrad...

jeudi 17 août 2006

1257 - et pendant ce temps-là, les moujiks...

(...) "Un officier allemand racontait combien ses hommes et lui avaient été choqués de voir des civils russes déshabiller joyeusement les cadavres de leurs compatriotes pour s'en approprier les vêtements. Mais dans le même temps, des soldats allemands prenaient eux-mêmes leurs vêtements et leurs bottes à des civils vivants, les condamnant ainsi, dans la plupart des cas, à périr de froid. Bien souvent, une balle eut été moins cruelle

Durant leur retraite devant Moscou, les troupes allemandes s'emparèrent de toutes les vivres et de tout le bétail sur lesquels elles purent mettre la main. Dans les maisons, on arrachait les planchers pour voir s'il n'y avait pas des pommes de terre cachées au-dessous. Les meubles, les volets et les poutres étaient utilisés comme bois à brûler.

Jamais une population n'avait autant souffert, et ce du fait des deux camps. Le 17 novembre [précédent], Staline avait signé une directive à l'intention des unités de l'Armée rouge pouvant frapper les arrières de l'ennemi - aviation, artillerie, skieurs infiltrés et partisans - leur ordonnant de "détruire et de mettre en cendres" toutes les maisons et toutes les fermes jusqu'à 65 kms derrière les lignes allemandes, afin de priver de tout abri les troupes de la Wehrmacht. Le sort des femmes et des enfants russes n'avait pas été pris en considération un seul instant"

(1) Beevor, pp 74-75

mercredi 16 août 2006

1256 - le triomphe de sa volonté

... aucun chef d'État moderne n'avait cumulé autant de Pouvoir qu'Adolf Hitler.

Même le tout aussi autocratique Joseph Staline, à la lumière de ses échecs lors des premières semaines de la guerre, avait prudemment délégué le commandement opérationnel de l'armée à de véritables officiers d'État-major, comme Joukov, et s'était contenté de dessiner les grandes lignes des opérations, ainsi que d'assumer la direction politique du pays.

En soi, et contrairement à une opinion aujourd'hui largement répandue, Hitler n'était dénué ni de flair ni de talent militaire, mais il ne pouvait tout assumer en même temps, et ne comprenait pas grand-chose aux réalités du terrain, considérant que tous les obstacles pouvaient être abattus par le seul "triomphe de la volonté".

Dans une telle logique, il n'était certes plus question de retraite. "La volonté fanatique de défendre le sol sur lequel se tiennent les troupes doit être insufflée aux hommes, y compris par les moyens les plus rudes", écrivit-il le 20 décembre. "La retraite de Napoléon dont on parle menace de devenir réalité. Il ne doit donc y avoir de retrait que lorsqu'une position est préparée à l'arrière".

Mais lorsqu'il n'existait d'autre solution que le repli, Hitler reprenait à son compte la logique stalinienne de la terre brûlée. "Chaque morceau de territoire que l'on est contraint d'abandonner à l'ennemi doit être rendu autant que possible inutilisable. Chaque habitation doit être incendiée et détruite sans considération pour la population afin de priver l'ennemi de tout abri possible" (1)

A Guderian qui le suppliait d'autoriser le retrait de la IIème armée de panzers menacée d'encerclement, Hitler répliqua que les hommes n'avaient qu'à creuser des trous et tenir chaque mètre de terrain. Et lorsque Guderian lui demanda comment creuser des trous dans un sol gelé jusqu'à 1,5 mètres de profondeur, Hitler déclara qu'ils n'avaient qu'à faire des cratères avec des obus, comme dans les Flandres, lors de la Première Guerre mondiale.

En vain Guderian lui fit-il observer que le sol des Flandres, en hiver, n'était en rien comparable à celui de la Russie : Hitler ne voulut rien entendre. "Vous devriez, lui dit-il, prendre davantage de recul. Croyez-moi, les choses paraissent plus claires quand on les examine de plus loin" (2)

Six jours plus tard, Guderian était limogé - ce ne serait pas la dernière fois - tout comme, dans les semaines qui suivirent, les généraux Förster, von Sponeck, Hoepner ou von Leeb...

(1) Kershaw, pp 664-665
(2) ibid, page 666

mardi 15 août 2006

1255 - le crépuscule des généraux

... le 18 décembre 1941, le maréchal von Bock, apprit que le Führer avait accédé à sa demande d'être relevé de son commandement du groupe d'armée centre. Le lendemain, ce fut le tour du maréchal von Brauchitsch, commandant en chef de l'armée de terre.

Ces deux limogeages, qui suivaient celui de von Runstedt (01 décembre) et de plusieurs autres officiers supérieurs, ne marquaient pas seulement l'échec de l'Opération Barbarossa : ils reposaient avec acuité le problème du commandement opérationnel de l'armée allemande.

Au total, 35 généraux furent ainsi limogés durant l'hiver même si - Hitler n'étant pas Staline - aucun ne fut fusillé pour l'exemple, tandis que beaucoup devaient pas la suite retrouver un autre commandement.

Pour remplacer Brauchitsch - cet homme "complètement malade et au bout du rouleau" selon les propres paroles de Hitler - le nom d'Erich von Manstein était le plus souvent cité, et le serait encore au cours des années à venir.

A tous égards, Manstein était un manœuvrier de génie, et probablement le plus grand stratège de la 2ème GM. C'est à lui que l'on devait notamment les plans d'invasion de la Pologne, et l'idée du magistral "coup de faucille" de la Campagne de France. A 54 ans (depuis le 24 novembre), il était également, avec Rommel, le général le plus populaire de l'armée allemande.

Un homme brillant donc, sans doute trop aux yeux de Hitler, qui ne pouvait supporter que quelqu'un puisse lui faire de l'ombre (1) et se méfiait de lui (2)

C'est pourquoi, contre toute logique militaire, et à la consternation des généraux, Hitler décida de ne pas remplacer von Brauchitsch et d'assumer lui-même le commandement en chef de l'armée de terre, qui n'était selon lui "qu'une petite affaire de commandement tactique (...) à la portée du premier venu" (3)

Le 19 décembre 1941, Hitler s'ajouta donc cette charge à celles, déjà considérables, de Chef de l'État et de Chancelier du Reich.

Pour la Wehrmacht, ce fut le début de la descente aux enfers...

(1) Hitler s'était personnellement attribué tout le mérite du "coup de faucille" pourtant dû à Manstein
(2) ironiquement, c'est également vers Manstein que se tournèrent, après Stalingrad, les partisans d'un coup d'État contre Hitler
(3) Kershaw, page 663

lundi 14 août 2006

1254 - éviter la Berezina

... Dans une guerre, la frontière qui sépare le repli stratégique de la débandade pure et simple tient souvent à peu de choses.

Malgré son extrême répugnance à abandonner un terrain si chèrement conquis, et à accepter les arguments de ses généraux qui le suppliaient d'autoriser la retraite, Hitler comprenait néanmoins que l'armée allemande, épuisée par six mois de campagne meurtrière, n'avait pas les moyens de tenir le Front face à la centaine de divisions rassemblées par Joukov.

Mais dans son esprit, se profilait surtout le spectre de la Berezina, qui avait vu Napoleon perdre son armée - et bientôt son trône - en ordonnant une retraite précipitée en plein hiver. Une retraite qui s'était rapidement transformée en débâcle : forcés d'abandonner armes et matériel, privés de tout abri dans la steppe, mourant de faim et de froid, constamment harcelés par les Russes, les soldats de la Grande armée étaient morts par dizaines de milliers (1)

Aux considérations de prestige personnel et de fierté nationale s'ajoutait donc une authentique dimension stratégique : permettre à l'armée de retraiter dans l'hiver russe, c'était aussi courir le risque de la perdre complètement.

Au sein de l'État-major, certains voyaient même la guerre définitivement perdue, et les tanks russes, que rien ne semblait pouvoir arrêter, déjà aux portes de Berlin.

Totalement abattu, le Maréchal von Bock, dont les troupes avaient déjà reculé de plus de 100 kms, écrivit le 13 décembre qu'il fallait laisser à Hitler lui-même le soin de décider si son groupe d'armée centre devait tenter de tenir sur place, ou continuer à battre en retraite, le risque de voir l'armée s'effondrer étant, selon lui, le même dans les deux cas.

C'est Guderian qui, le 16 décembre, reçut la réponse du Führer : "Par l'engagement personnel du commandant, des commandants subalternes et des officiers, il fallait obliger les troupes à une résistance fanatique sur leurs positions, sans tenir compte de l'ennemi qui enfonçait les flancs ou l'arrière (...) Il ne saurait être question de retrait. Hormis en certains endroits où il y a eu pénétration profonde de l'ennemi" (2)

Des milliers de soldats allemands allaient payer cette décision de leur sang...

(1) au total, la Campagne de Russie coûta la vie à quelques 300 000 soldats français
(2) Kershaw, pp 661-662

dimanche 13 août 2006

1253 - la contre-offensive

... Le 6 décembre 1941, alors que Guderian venait à peine d'autoriser ses avant-gardes à se replier vers des positions moins exposées, une centaine de divisions soviétiques se lancèrent à l'attaque des positions allemandes.

Depuis des semaines, et dans le plus grand secret, Joukov avait fait rassembler plusieurs centaines de milliers d'hommes, et plus de 1 700 chars, qui partirent à l'assaut sur un front de plus de 300 kms, et par des températures largement inférieures à - 20 degrés.

Du côté allemand, ce fut aussitôt le chaos. Un chaos savamment amplifié par une multitude de saboteurs et de petites unités d'éclaireurs ou de partisans, opérant vingt ou trente kilomètres derrière les lignes.

Paralysées par le froid et la neige, privée de renforts et du soutien d'une Luftwaffe qu'une campagne de six mois avait réduite à peau-de-chagrin (1) les troupes allemandes et leurs blindés n'eurent d'autre choix que de retraiter, souvent sans en avoir reçu l'ordre. Moscou était sauvée. En dix jours, le groupe d'armée centre du maréchal Von Bock avait reculé de près de 160 kms, effaçant du même coup une bonne partie de ses succès de l'été et de l'automne.

Pour les Allemands se profila alors le spectre d'une nouvelle Berezina...

(1) en six mois d'offensive, la Luftwaffe avait perdu plus de 1 700 avions, soit environ la moitié de ses effectifs initiaux

samedi 12 août 2006

1252 - avec les compliments de Richard Sorge

... En août 1939, "l'Incident du Nomonhan" (1), une offensive japonaise lancée depuis la Mandchourie en direction du territoire soviétique, s'était terminée par un véritable désastre nippon.

Bien que l'aviation japonaise ait réussi à tirer son épingle du jeu, l'armée de terre avait en revanche été battue à plate couture par les fantassins et les tanks russes menés par un certain général Joukov,... qui ferait beaucoup parler de lui dans les années suivantes.

Si le gouvernement japonais avait habilement su cacher ce désastre à sa population, il n'en avait pas moins été convaincu qu'il valait mieux renoncer à toute idée de s'étendre vers le Nord et les gisements pétroliers de la Sibérie, pour chercher plutôt une expansion vers le Sud et le pétrole des Indes néerlandaises,... comme la Marine impériale le recommandait d'ailleurs depuis des années.

Ce changement radical d'orientation stratégique devait avoir d'importantes conséquences sur la guerre à l'Est, puisqu'il permettait à Staline, à présent débarrassé de toute menace sur ses frontières extrême-orientales, d'envisager le retour massif des troupes qui y étaient jusque là stationnées. Des troupes fraîches et qui seraient assurément utiles pour affronter l'armée allemande.

A la veille de la bataille pour Moscou (octobre-novembre 1941), les informations transmises par un espion du NKVD en poste à Tokyo, Richard Sorge, achevèrent de persuader le Petit Père des Peuples du fait que le Japon n'avait aucune intention d'attaquer l'URSS, ce qui permit à Joukov, tout juste nommé commandant en chef du Front centre et de la défense de Moscou, de rapatrier dans le plus grand secret les troupes sibériennes avec lesquelles il avait bien l'intention de lancer une contre-offensive d'envergure...

(1) Saviez-vous que... no 852

vendredi 11 août 2006

1251 - dans l'attente des beaux jours

... A l'évidence, la situation militaire à l'Est, en cette fin d'année 1941, ne correspondait pas aux attentes du Führer et de son État-major.

Loin de fournir le blé, le pétrole et la main d'oeuvre servile dont le Reich avait besoin, l'Union soviétique absorbait au contraire toujours davantage de ressources matérielles et humaines en provenance du Reich et des pays occupés. Loin de goûter un repos bien mérité et au chaud, les soldats allemands continuaient d'affronter les forces ennemies, grelottaient sous la neige, et espéraient sans trop y croire la venue de renforts et d'équipements hivernaux.

Comme l'écrivit le général Blumentritt, "nous avons découvert en octobre et début novembre que les Russes que nous avions anéantis n'avaient en rien cessé d'exister comme puissance militaire. (...) Tout cela était pour nous inattendu. Nous ne pouvions pas croire que la situation se transformerait ainsi alors qu'après nos victoires décisives, Moscou nous semblait à portée de mains" (1)

Au sein de l'armée allemande, personne néanmoins ne parlait encore de retraite, ni a fortiori de defaite, mais tout au plus d'un contre-temps, certes extrèmement fâcheux, mais surmontable. Le Russe, comme ne cessait de le rappeler Hitler, était "fini", et serait définitivement vaincu au printemps, lorsque le retour du beau temps, l'arrivée de renforts et d'armes nouvelles, permettraient de reprendre le combat.

En attendant, il fallait tenir coûte que coûte, et surtout ne pas céder le moindre mètre du terrain si chèrement conquis au cours de l'été, ce qui allait contraindre l'armée allemande à un hivernage rigoureux, aussi coûteux pour le Reich que meurtrier pour les hommes.

Mais la "volonté du Führer" exprimée à Berlin, ou depuis son Q.G de Prusse orientale, se heurtait cependant aux dures réalités du terrain et au désir des offciers de préserver autant que possible les soldats placés sous leur commandement en ne les exposant pas inutilement à la fureur des éléments.

Début décembre, de leur propre initiative, et sans en référer à Hitler, certains généraux - comme Guderian - avaient même déjà commencé à replier leurs avant-gardes vers des secteurs moins exposés du Front, avec la ferme intention de repartir à l'attaque, et de gagner la guerre, dès le retour du printemps.

Personne parmi eux n'imaginait les Russes capables de mener la moindre contre-offensive d'envergure dans des conditions météo aussi dantesques.

Ils se trompaient..

(1) Fana de l'Aviation, HS no 31, page 93

jeudi 10 août 2006

1250 - l'échec de Barbarossa

... à la fin novembre 1941, lorsque la neige et le gel réduisirent les opérations militaires à presque rien, il était devenu évident que l'Opération Barbarossa était un échec, et que Hitler avait perdu son pari.

Bien que constamment victorieuses jusque-là, les armées allemandes étaient bloquées devant Leningrad et Moscou. Surtout, elles n'étaient pas parvenues à briser la résistance soviétique, ni à se rendre maîtresses des deux principaux objectifs de la campagne - le blé de l'Ukraine et le pétrole du Caucase.

"L'hiver était arrivé en force, avec de la neige, des vents glaciaux et des températures descendant à moins vingt degrés centigrades. Les moteurs des chars allemands étaient totalement gelés. Sur le Front, les fantassins, épuisés, creusaient autant pour se protéger du froid que pour échapper aux bombardements ennemis. Le sol était si gelé qu'il fallait y allumer de grands feux avant d'essayer même d'y faire le moindre trou. Les personnels des États-majors et des bases arrières occupaient les maisons des paysans, après avoir froidement expulsé ceux-ci.

Hitler s'étant refusé à envisager une campagne d'hiver, ses soldats souffraient terriblement. Leurs uniformes trop minces ne les protégeaient pas du froid, et leurs bottes de cuir bien serrées ne faisaient que favoriser les gelures (1) Ils avaient donc pris l'habitude de voler les vêtements et les bottes des prisonniers et des civils. A certains moments, seuls leurs casques à la forme caractéristique permettaient de les identifier comme des hommes de la Wehrmacht" (2)

(1) à la Noël 1941, on dénombrait plus de 100 000 cas de gelures
(2) Beevor, page 68

mercredi 9 août 2006

1249 - Hiwis über alles

... si le négationnisme des néo-nazis a toujours consisté à réfuter l'existence des chambres à gaz, ou à minimiser leur importance, le négationnisme russe, lui, a constamment réfuté l'existence des "Hilfswilliger" (ou "Hiwis"), c-à-d des auxiliaires russes ayant servi, volontairement ou non, dans l'armée allemande.

Parmi tous les étrangers combattant sur le Front de l'Est sous l'uniforme allemand, les Hiwis représentaient non seulement le plus gros des effectifs, mais aussi le plus extraordinaire, puisque luttant directement contre leurs propres compatriotes qui, cela va sans dire, leur vouaient une haine aussi implacable que meurtrière.

Rien qu'à Stalingrad, en 1942, plus de 50 000 russes allaient ainsi servir, en uniforme allemand, dans les unités de première ligne (1). A la capitulation de la VIème armée, on verrait même d'authentiques soldats allemands tenter l'impossible pour dissimuler à leurs gardiens russes la présence parmi eux de ces "traîtres à la Mère Patrie" qui, dans l'immense majorité des cas, étaient presque aussitôt exécutés sur place.

Certains de ces Hiwis étaient des anticommunistes convaincus. D'autres, des nationalistes ukrainiens, cosaques, baltes, caucasiens, ou des membres des diverses minorités ethniques fort mal traitées par Moscou, et qui espéraient ainsi prendre leur revanche.

Mais l'on trouvait aussi des prisonniers de guerre (2) "retournés", comme Andrey Andreyevich Vlassov (3), et quantités de déserteurs de l'armée rouge, qui n'ignoraient rien du sort qui les attendait s'ils venaient à retomber entre les mains de leurs anciens chefs.

Tous ceux-là, des centaines de milliers de personnes en fait, étaient véritablement pris entre deux feux, coincés entre la certitude d'être fusillés par les Allemands s'ils tentaient de fuir les rangs de l'armée allemande, et celle d'être fusillés par les Russes s'ils étaient capturés par les Russes ou tentaient de réintégrer leurs rangs...

(1) dans certaines unités, ils représentaient jusqu'à 25% des effectifs
(2) on estime entre 4 et 6 millions le nombre de soldats russes faits prisonniers durant la guerre, et à environ un million celui des Hiwis ayant servi, volontairement ou non, dans l'armée allemande
(3) Saviez-vous que... 221 à 223

mardi 8 août 2006

1248 - des étrangers plus ou moins volontaires

... De toute évidence, les planificateurs de l'Opération Barbarossa, à commencer par le général Von Paulus et Hitler lui-même, avaient dramatiquement sous-évalué l'importance réelle des forces soviétiques.

Compte tenu des pertes infligées à l'ennemi, il y avait longtemps que l'armée rouge aurait dû cesser d'exister... si les estimations des services de renseignement avaient été correctes. Que ce soit en avions ou en tanks détruits, ou en soldats soviétiques tués ou capturés, les chiffres dépassaient en effet tout ce que l'armée rouge était supposée posséder avant le début de la guerre (1)

Corrélativement, le niveau de pertes matérielles et humaines de la Wehrmacht et de la Luftwaffe dépassait lui aussi - et de très loin - tout ce qui avait été prévu à l'origine, et tout ce que les armées allemandes avaient déjà perdu au cours des années précédentes (2). Pour compenser ces pertes, il allait donc bientôt falloir se résoudre à mobiliser davantage les ressources matérielles et humaines du Reich, mais aussi celles des pays occupés, qui se verraient soumis à un véritable pillage économique, et contraints d'envoyer en Allemagne des centaines de milliers de travailleurs plus ou moins volontaires.

Il faudrait aussi, dans la mesure du possible, persuader les populations européennes asservies de combattre à l'Est aux côtés des armées allemandes, ce qui, en France, donnerait par exemple naissance à la "Légion des Volontaires Français" (LVF), créée dès juillet 1941, et, plus tard, à la tristement célèbre division SS "Charlemagne".

Très variable selon les pays (3), le soutien étranger ne devait de toute manière jamais répondre aux besoins d'une armée allemande qui voyait ses effectifs fondre à vue d'oeil sans trop savoir quand cette hémorragie allait s'arrêter...

(1) Fin 1941, après six mois de combats, l'aviation soviétique avait perdu plus de 16 000 appareils...
(2) Fin 1941, après six mois de combats, la Luftwaffe allemande avait perdu près de 4 000 appareils sur le seul Front de l'Est, soit près de cinq fois plus que lors de la Campagne de France, un an plus tôt
(3) la LVF, qui espérait 100 000 hommes, n'en enrôlera au total que moins de 20 000

lundi 7 août 2006

1247 - "Il ne peut y avoir de retraite !"

... lorsque la boue céda la place à la neige, les troupes allemandes dirigées vers Moscou avaient finalement moins progressé que celles de Napoleon cent trente ans plus tôt (!)

(...) La Wehrmacht commençait à être gravement handicapée par le temps. La visibilité plus que réduite contrariait considérablement "l'artillerie volante" de la Luftwaffe (...) Les armées du Maréchal Von Bock (...) s'efforçaient désespérément d'achever l'ennemi avant que l'hiver ne commence pour de bon. Durant la deuxième quinzaine de novembre, les combats furent incessants.

(...) D'un point situé au Nord de Moscou, les officiers allemands pouvaient voir à la jumelle les flammes de départ des canons antiaériens entourant le Kremlin. Joukov ordonna à Rokossovski de tenir le Front à Krioukovo avec les restes de sa 16ème armée. "Il ne peut y avoir de retraite !", proclama-t-il le 25 novembre"

(...) A la fin de novembre, dans une ultime tentative, le Maréchal von Kluge dépêcha une force importante sur la principale route conduisant à Moscou, la chaussée de Minsk, qu'avaient empruntée les troupes de Napoléon. Les Allemands réussirent la percée, mais le froid paralysant, et la résistance suicidaire des régiments soviétiques, finirent par briser leur offensive" (1)

Sur les terrains d'aviation figés par le froid, les mécaniciens de la Luftwaffe, désespérés, en étaient réduits à entretenir des feux jour et nuit sous les moteurs des avions, pour les empêcher de geler. Faute de graisse spéciale, même le mécanisme des fusils se bloquait, les rendant inutilisables. Et les tankistes allemands, lorsqu'ils parvenaient à démarrer leurs chars, ne pouvaient qu'envier leurs adversaires russes qui, grâce à la largeur inhabituelle des chenilles de leurs T-34 (2), progressaient sans trop de peine dans une neige profonde qui paralysait les Panzers (3).

(1) Beevor, pp 66-67
(2) avec leur largeur de 560mm, les chenilles des T-34 russes étaient 45% plus large que celles des chars allemands. Ce défaut ne fut corrigé qu'en 1943, à l'apparition des Panther et Tiger... dont le roulement excessivement complexe n'en continua pas moins de poser d'énormes problèmes dans la neige profonde.
(3) le 2 décembre 1941, les avant-gardes allemandes étaient parvenues à 20kms du centre-ville de Moscou. Elles n'allèrent pas plus loin

dimanche 6 août 2006

1246 - tombe la neige

... L'hiver a toujours été l'allié du soldat russe.

En s'en prenant à l'URSS, au printemps 1941, Hitler ne pouvait ignorer ce qui était arrivé aux troupes de Napoléon, lorsque, volant de victoire en victoires jusque Moscou, elles avaient ensuite trouvé la capitale des Tsars désertée de ses habitants, avant de se voir elles-mêmes contraintes de retraiter ignominieusement dans la neige et le gel, faute de tout approvisionnement.

L'Allemagne hitlérienne avait imposé au monde un mythe nouveau, celui de la "Blitzkrieg", de la "guerre-éclair", mais c'était elle qui s'en retrouvait à présent la première victime.

Hitler et ses généraux avaient cru, à tort, que la mécanisation des armées, et l'apparition de l'Aviation, leur permettraient de triompher du Temps et des distances.

Ils avaient hélas oublié que les Russes disposaient eux aussi des mêmes atouts, que les moteurs ont partout besoin d'essence, et qu'à mesure que le Front s'éloigne, il faut dépenser de plus en plus d'essence pour acheminer de plus en plus loin l'essence qui permet aux moteurs de continuer à tourner...

samedi 5 août 2006

1245 - raspoutitsa

... Plus que la résistance des soldats russes, ou leur politique de "Terre brûlée", c'étaient l'immensité russe, et la météo, qui réduisaient à présent l'avancée des troupes allemandes à presque rien.

Combattre en Russie impliquait en effet la traversée d'immenses territoires où les routes - lorsqu'elles existaient - se résumaient le plus souvent à de simples pistes de terre qui se transformaient en autant de bourbiers innommables à la moindre pluie

"La saison des pluies et de la boue, la raspoutista, vint s'installer vers le milieu d'octobre. De plus en plus souvent, les camions allemands ne purent plus circuler et l'on dut réquisitionner dans les fermes communautaires, à des centaines de kilomètres à la ronde, des charettes paysannes

(...) En certains endroits où l'on ne trouvait plus de troncs de bouleau pour construire une piste solide, on utilisa des cadavres russes comme "traverses" pour construire des chaussées improvisées. Il arrivait souvent qu'on vit un soldat allemand perdre une botte, aspirée par la boue où l'on s'enfonçait parfois jusqu'au genou

(...) Mais ce que tous redoutaient le plus, c'était le gel qui n'allait plus tarder. Nul n'oubliait que chaque jour comptait (1)

(1) Beevor, page 62

vendredi 4 août 2006

1244 - il est de plus en plus clair que nous avons sous-estimé le colosse russe"

... Le 11 août 1941, un mois à peine après avoir écrit que la Campagne de Russie avait été gagnée en deux semaines, le général Halder était bien forcé d'admettre que "au vu de la situation générale, il est de plus en plus clair que nous avons sous-estimé le colosse russe" (1)

Pour autant, les armées allemandes continuaient d'avancer... étirant d'autant leurs lignes de communication, et donc leurs problèmes d'approvisionnement. Il fallait de plus en plus d'essence, d'avions et de véhicules pour acheminer jusqu'au Front l'essence, les avions et les véhicules qui permettaient aux troupes de continuer à combattre.

Au Nord, les troupes allemandes assiégeaient Leningrad, dont la chute était considérée comme imminente. Au centre, elles n'étaient plus qu'à une centaine de kilomètres de Moscou, où l'état de siège fut décrété le 19 octobre.

La population civile, femmes et enfants compris, fut alors réquisitionnée pour creuser des fossés anti-chars tout autour de la capitale, et les sbires du NKVD se mirent à exécuter sommairement les pillards et autres "paniquards" qui souhaitaient la quitter...

(1) Kershaw, page 579

jeudi 3 août 2006

1243 - terre brûlée

... Petit à petit, l'offensive allemande commençait à marquer le pas face à la résistance acharnée - pour ne pas dire suicidaire - des Soviétiques, qui acceptaient des taux de pertes dans leurs propres rangs qui auraient été jugés intolérables par n'importe quel État-major ou gouvernement occidental, y compris allemand.

Lorsqu'ils étaient malgré tout autorisés à retraiter, les soldats russes s'efforçaient de ne rien laisser derrière eux qui put ensuite servir aux Allemands.

Dans l'esprit de Staline, il fallait brûler ou détruire tout ce qu'on ne pouvait emporter avec soi. L'armée allemande ne devait pas trouver la moindre goutte d'essence pour réapprovisionner ses tanks, la moindre récolte pour nourrir ses soldats, le moindre toit pour les abriter pendant l'hiver dont les Russes ne cessaient d'espérer la venue.

Bien entendu, cette politique de la "terre brûlée" ôtait quasiment à la population civile qui resterait sur place toute chance de survivre à l'hiver, et d'autant plus que l'armée allemande, qui avait un besoin vital d'essence, de nourriture et d'abris, ne se privait pas de piller le peu qui restait après le départ des soldats russes, et de jeter les civils à la porte de leurs maisons et de leurs fermes pour y loger ses troupes...

mercredi 2 août 2006

1242 - on achève bien les chiens

... À côté des soldats et des miliciens qu'ils envoyaient pour ainsi dire à l'abattoir, les responsables soviétiques eurent parfois recours à d'étranges expédients.

Ainsi, en octobre 1941, plusieurs unités blindées allemandes firent la connaissance d'une nouvelle arme secrète soviétique.

"Leurs tankistes virent soudain des chiens venus des lignes russes courir vers eux, avec, sur le dos, une sorte de selle surmontée d'un paquet d'où émergeait un court bâton. Ils pensèrent d'abord qu'il s'agissait de chiens-sauveteurs destinés à porter secours aux blessés, mais ils ne tardèrent pas à comprendre que c'étaient en fait des explosifs - ou parfois une mine antichar - que transportaient ainsi les animaux.

Dressés selon les principes pavloviens, ces chiens avaient été habitués à aller chercher leur nourriture sous des véhicules de grandes dimensions. C'était le bâton qui, en heurtant le dessous du char, devait déclencher la charge.

La plupart de ces "chiens piégés" furent abattus avant d'avoir atteint leur cible, mais le procédé affectait désagréablement les nerfs des tankistes allemands" (1)

(1) Beevor, page 62

mardi 1 août 2006

1241 - le mépris

... dans les rapports qu'ils envoyaient à Hitler, les généraux allemands ne se privaient pas de noter l'incompétence et la désorganisation de leurs homologues russes.

Mais ce qui les frappait le plus, c'était le mépris total du commandement soviétique à l'égard des pertes dans ses propres rangs.

(...) "la plus grande erreur commise par les chefs militaires allemands avait été de sous-estimer "Ivan", le soldat de base de l'Armée rouge. Ils devaient rapidement découvrir que, même accablés sous le nombre, les soldats soviétiques continuaient à combattre alors que leurs homologues des armées occidentales se seraient rendus. (...) L'ordre s'étant peu à peu rétabli pendant l'été du côté russe, la résistance se fit plus vigoureuse. "Partout, écrivit-il [le général Halder] dans son journal, les Russes se battent jusqu'au dernier. Ils ne capitulent qu'occasionnellement" (1)

(...) Quatre millions de personnes se portèrent volontaires, ou se sentirent obligées de se porter volontaires, pour l'opoltchentsi, la milice. Le gaspillage de vies humaines fut, là, si terrible qu'il est, encore maintenant, difficile à comprendre. Ces soldats improvisés, sans entraînement, souvent sans armes, et dont beaucoup étaient encore en civil, furent envoyés contre les formations blindées de la Wehrmacht. Quatre divisions de milice furent presque complètement anéanties avant même que le siège de Leningrad ait commencé. Les familles, ignorant l'incompétence des chefs et le chaos qui régnait sur le Front, l'ivrognerie, le pillage et les exécutions sommaires du NKVD, pleuraient leurs morts sans critiquer le moins du monde le régime. La colère était réservée à l'ennemi" (2)

(1) Beevor, pp 47-48
(2) ibid, page 51