vendredi 31 décembre 2010

2856 - partir ou rester ?

... devant Remagen, le général Hoge a donc décidé, de sa propre initiative, de saisir l'opportunité qui se présente.

Sans attendre l'autorisation de ses supérieurs, il s'est emparé du pont et a commencé à faire franchir le fleuve aux troupes dont il dispose : dans les premières 24 heures, près de 8 000 hommes - mais comme nous l'avons vu très peu de véhicules et encore moins de blindés - vont ainsi traverser le Rhin "les pieds au sec".

Reste qu'en haut-lieu, l'initiative de Hoge, une fois connue, a soulevé au moins autant d'inquiétude que d'enthousiasme.

Rarement en effet l'expression "tête de pont" n'aura autant mérité son nom puisque les avant-gardes américaines, non contentes de se trouver seules et isolées en plein territoire allemand, sont - littéralement - adossées à un pont dont elles dépendent pour leur survie mais dont nul ne sait si - ni combien de temps - il demeurera debout.

Qu'il vienne à s'effondrer, ou que les Allemands se mettent - comme à Arnhem - à réagir avec énergie et rapidité, et la belle aventure, ce "Moment dans l'Histoire" comme le titrera bientôt Time Magazine, se transformera - toujours comme à Arnhem - en un monumental et sanglant fiasco.

Pour l'éviter, il n'existe en vérité que deux solutions : quitter la partie en ordonnant un retrait général et immédiat ou, a contrario, doubler la mise en expédiant à Remagen, en priorité absolue, tous les moyens matériels et humains qu'on pourra rassembler ici et là, puis leur faire traverser le fleuve toutes affaires cessantes.

Le dernier mot en cette affaire va, une fois de plus, revenir au général Eisenhower

jeudi 30 décembre 2010

2855 - transformer l'essai

... 17h00

Peu avant 17h00, réalisant l'inutilité de toute résistance, les derniers défenseurs allemands réfugiés dans le tunnel se rendent à des Américains qui, de leur côté, peinent encore à réaliser - et surtout à exploiter - leur bonne fortune.

Car, comme au rugby, l'essentiel est maintenant de transformer l'essai ce qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est malheureusement pas si facile.

C'est évidemment une question de moyens : la capture d'un pont intact (et a fortiori la traversée du Rhin) n'ayant jamais figuré à l'ordre du jour, la 9ème Division blindée américaine dispose dans l'immédiat de juste d'assez de fantassins pour escorter les prisonniers allemands, assurer l'ordre autour du pont,... et s'emparer de la colline surplombant le tunnel ferroviaire.

Comme tout cela serait balayé en quelques instants advenant l'arrivée de Panzers, le plus urgent est évidemment d'acheminer des renforts, et en particulier des blindés, sur la rive droite.

Le problème, c'est que malgré l'arrivée d'un Sherman-dozer, la rampe d'accès est toujours inaccessible aux véhicules...

Et lorsque les premiers tanks, peu avant minuit, peuvent enfin s'engager sur le pont, il ne s'agit que de vulgaires et presque surannés Sherman : les Pershing, pourtant bien plus performants, ont en effet été jugés trop gros et trop lourds pour cet ouvrage dont personne n'a encore eu le temps de s'assurer de la condition exacte.

Sage précaution en vérité puisqu'après le passage de neuf Sherman, la chaussée se dérobe soudain sous les chemilles d'un Tank Destroyer M36 (1) qui, s'encastrant dans la structure du pont, va complètement bloquer celui-ci pendant plusieurs heures !

(1) comme son prédécesseur M10, le M36 était un chasseur de char construit sur le châssis d'un tank Sherman

mercredi 29 décembre 2010

2854 - à bicyclette


... dans le camp allemand, la survie du Pont Ludendorff a naturellement été accueillie avec une stupéfaction qui a bientôt cédé la place à une résignation dangereusement proche de l'apathie.

Militairement parlant, la situation n'est pourtant pas désespérée : en raison des dommages infligés à la rampe d'accès, il s'en faudra encore de plusieurs heures avant que les Américains ne soient en mesure de faire passer des tanks sur le pont, opération qui - comme nous allons le voir - va par ailleurs s'avérer bien moins facile et rapide qu'espéré.

Le pont lui-même constituant un formidable goulet d'étranglement, quelques Panzers, ou même une simple compagnie d'Infanterie, suffiraient amplement à rejeter sur la rive gauche la poignée de GI's qui viennent de prendre pied sur la rive droite.

Mais le problème, c'est que le Major Scheller ne dispose d'aucun Panzer ni même, depuis la perte de ses opérateurs radio, d'aucun moyen d'appeler en renfort ceux qui pourraient se trouver dans le voisinage.

Et en réunissant les quelques fantassins et artificiers dont disposent encore Bratge et Friesenhahn, on n'arrive même pas à une cinquantaine d'hommes valides, lesquels, à présent réfugiés dans le tunnel ferroviaire au milieu de plusieurs centaines de civils apeurés, ne manifestent - et c'est le moins qu'on puisse en dire - aucun désir de mourir pour le Führer et le Vaterland.

Alors, peu après 16h00, Scheller n'a d'autre choix que de prendre la décision la plus difficile de sa carrière, une décision qui, bien que logique, va bientôt lui coûter la vie : confiant le commandement à ses deux subordonnés, il enfourche un vélo et prend la route afin d'alerter l'État-major et rameuter des renforts...

mardi 28 décembre 2010

2853 - une simple formalité

... 15h30

Qu'ils croient ou non aux miracles, les hommes du Lieutenant Timmerman n'ont à présent plus d'autre choix que de s'emparer de ce pont qu'ils croyaient bel et bien projeté définitivement au milieu du Rhin.

Prendre d'assaut un pont - c-à-d un objectif étroit, découvert, rectiligne, et sans la moindre possibilité de contournement - n'est évidemment pas chose aisée, mais du moins les assaillants américains peuvent-ils compter sur l'appui de leurs tanks alors que les défenseurs allemands, eux, ne disposent que de quelques mitrailleuses.

Sur une barge échouée près du pont, ceux-ci ont bien installé quelques soldats qui vont prendre à partie les GI's... avant de se retrouver très rapidement réduits au silence par les obus de 90mm des tanks Pershing.

Les tours de la rive Est ne constituant pas non plus un obstacle insurmontable, rien ne peut donc empêcher les Américains de progresser sur le pont mètre après mètre, tout en arrachant au passage tous les explosifs et câbles électriques sur lesquels ils peuvent mettre la main, et qu'ils s'empressent de précipiter dans le Rhin.

Peu avant 16h00, l'affaire est pliée : réfugiés dans le tunnel ferroviaire, les derniers défenseurs allemands savent désormais qu'ils n'ont plus la moindre chance de repousser les GI's... et d'autant moins que, dans leurs propres rangs, la confusion est maintenant à son paroxysme...

lundi 27 décembre 2010

2852 - le Miracle de Remagen


... à mesure que la fumée se dissipe, les combattants des deux camps, tétanisés, découvrent un incroyable spectacle : les 325 mètres d'acier du Pont Ludendorff, comme indifférents à la folie des Hommes, se dressent toujours au-dessus du Rhin !

En fait, sous l'effet de l'explosion, le tablier tout entier s'est bel et bien soulevé de quelques centimètres,... puis est tranquillement retombé sur ses piliers.

Comment comprendre ce que tout le monde - du moins dans le camp allié - appellera bientôt le "Miracle de Remagen" ?

En tout premier lieu, il faut évidemment citer l'incroyable défaillance de la charge principale, que le capitaine Friesenhahn tenta, mais en vain, d'actionner à plusieurs reprises.

Pour l'expliquer, certains ont invoqué un sabotage par des Hiwis présents sur place, ou par des soldats allemands à présent désireux de hâter la fin du conflit.

Mais Friesenhahn n'était pas un amateur, et faisait régulièrement tester le circuit électrique, en sorte que la cause la plus vraisemblable reste encore un obus qui, défiant néanmoins toutes les lois de la probabilité, se serait abattu directement sur le tube de protection, le sectionnant au passage.

Il existait bien une charge de secours et un dispositif indépendant, que le caporal Faust parvint d'ailleurs à déclencher in extremis, mais cette charge - nous l'avons vu - n'était pas constituée des 600 kilos d'explosifs militaires promis, mais de seulement 300 kilos d'un explosif industriel, par ailleurs moins puissant.

Pour ne rien arranger, ces explosifs furent installés à la va-vite, et quasiment sous le feu des soldats américains, ce qui, en plus des tirs de ces derniers, explique sans doute pourquoi la moitié seulement des explosifs - soit environ 150 kilos - détonna réellement, ce qui suffisait pour soulever le tablier, mais pas pour le détruire...

dimanche 26 décembre 2010

2851 - et le pont Ludendorff explosa

... 15h20

Sur la rive droite du Rhin, il y a déjà de longues minutes que le capitaine Frisenhahn, réfugié dans le tunnel ferroviaire, réclame la destruction du Pont.

Mais depuis le 20 juillet 1944, la moindre décision est devenue une entreprise à haut risque, dans laquelle on ne s'engage qu'après avoir pris un maximum de précautions, et sollicité maintes autorisations supérieures.

Finalement, à 15h20, le Major Scheller, désespérant lui-même de parvenir à joindre ses supérieurs, prend la décision de tout faire sauter.

Mais au moment où Friesenhahn actionne le dispositif de mise à feu, rien ne se passe : le circuit électrique, pourtant testé à maintes reprises, refuse de fonctionner !

A plusieurs reprises, le malheureux répète la phase de mise à feu, sans davantage de succès.

Ne reste donc plus qu'un ultime espoir : la charge de secours, quant à elle actionnable par un simple cordon pyrotechnique... mais dont la boîte se trouve malheureusement presque au milieu du pont, ce qui va contraindre le modeste caporal Anton Faust à réaliser l'exploit de sa vie, en se précipitant vers elle sous la mitraille américaine, puis en parvenant à allumer la mèche.

Quelques instants plus tard, dans un bruit d'apocalypse, le Pont de Remagen disparaît sous un formidable nuage de fumée,... à la plus grande satisfaction des soldats des deux camps, à présent convaincus qu'ils n'auront plus à risquer leur vie pour ses quelque 300 mètres de ferraille...

samedi 25 décembre 2010

2850 - qui ne risque rien...

... 15h00

Le 20 septembre 1944, malgré les ordres lui enjoignant de s'emparer du Pont d'Arnhem, le général Brian Horrocks, commandant du 30ème Corps britannique, avait préféré arrêter ses blindés aussitôt après le Pont de Nimègue plutôt que de prendre le risque - considérable - de les expédier jusqu'à Arnhem sans presque aucune protection d'Infanterie.

En arrivant à Remagen, le 7 mars 1945 en début d'après-midi, le général William Morris Hoge (1) va quant à lui tenir le pari inverse, et accepter un risque a priori insensé: renier ses ordres qui lui enjoignent de se limiter à la rive gauche du Rhin, et lancer l'infanterie et les blindés dont il dispose à l'assaut du Pont de Remagen, afin de s'en servir pour passer sur la rive droite, en plein territoire allemand !

Chez ses subordonnés, cette décision est loin d'être accueillie avec enthousiasme, et c'est particulièrement vrai parmi les soldats du Lieutenant Timmerman, à qui l'on demande non seulement de s'engager sur un pont battu par des mitrailleuses allemandes, mais de surcroît sur un pont miné et susceptible d'exploser à tout instant.

Mais même dans l'armée américaine, on discute rarement les ordres d'un général, et tandis que les fantassins se préparent à donner l'assaut, les tanks Pershing, qui sont de toute manière trop gros et trop lourds pour s'engager sur le pont, entreprennent d'en noyer l'entrée Est sous un déluge d'obus fumigènes et au phosphore...

(1) à ne pas confondre avec le général Courtney Hodges, commandant de la 1ère Armée américaine, dont Hoge était le subordonné

vendredi 24 décembre 2010

2849 - prudence, prudence...

... c'est donc sur la pointe des pieds, et sans le moindre sentiment d'urgence, que les fantassins américains s'approchent de cet étrange pont dont ils n'avaient jamais entendu parler jusque-là.

Mais si le dit pont est encore intact, chacun, dans les rangs américains, sait qu'il ne s'agit plus que d'une question de secondes, de minutes au maximum, et personne ne tient évidemment à se trouver là au moment où se produira l'inévitable explosion qui le projettera dans le Rhin.

Les mêmes craintes inspirant les mêmes comportements, les tankistes ne manifestent eux non plus aucun empressement à s'approcher du pont, et se contentent sagement de positionner leurs Pershing de part et d'autre de celui-ci, tout au long de la rive gauche, et ce afin de parer l'arrivée de l'un ou l'autre Panzer en maraude.

Mais en fait de Panzer, c'est un innocent train de marchandises allemand qui, inconscient du danger, se présente bientôt sur la rive droite... pour se retrouver promptement expédié au paradis de la ferraille, à grands coups d'obus de 90mm.

Les minutes s'écoulent mais le pont, lui, reste immuablement debout... au plus grand désespoir des GI's, qui commencent à se demander si, finalement, quelqu'un ne va pas leur demander de s'y aventurer...

jeudi 23 décembre 2010

2848 - allegro ma non troppo

... 14h00

Comme il fallait s'y attendre, la poignée de soldats allemands encore postés près de l'entrée ouest du Pont de Remagen ne peut opposer qu'une résistance symbolique, rapidement balayée par le nombre et la puissance de feu des GI's et de leurs tanks Pershing.

Il n'en faut pas plus pour convaincre le capitaine Friesenhahn de faire détoner la mine placée sous la rampe d'accès ouest, y creusant un cratère de près de trois mètres de profondeur qui, à défaut de barrer le passage aux fantassins américains, l'interdit du moins à leurs tanks.

Compte tenu des énormes moyens dont dispose l'US Army, l'obstacle est néanmoins dérisoire, et il ne faudra guère de temps avant que se présente un Sherman-dozer (1) qui entreprendra de tout remblayer.

Mais dans l'immédiat, on n'en est pas là... et d'autant moins qu'à la stupéfaction des Allemands, les Américains, loin de se précipiter vers le pont, prennent au contraire tout leur temps !

Car en ce mois de mars 1945, l'objectif de la 9ème Division blindée, et des Alliés en général, n'est pas, et n'a jamais été, de s'emparer d'un pont sur le Rhin, mais bien d'en interdire le passage aux troupes allemandes en retraite.

Et de toute manière, les hommes du lieutenant Timmerman, ainsi que Timmerman lui-même, ne doutent pas un seul instant de voir bientôt le pont s'abîmer dans le Rhin, comme tous ses congénères avant lui, d'Arnhem à Colmar...

(1) le Sherman-dozer résultait tout simplement de l'accouplement d'une lame de bulldozer à un châssis de Sherman conventionnel. A ce sujet : Saviez-vous que... 2131

mercredi 22 décembre 2010

2847 - Cologne, Remagen : 46 kilomètres

... 13h00

Alors qu'il pénètre prudemment dans Remagen, le Lieutenant Karl Timmerman, de la 9ème Division blindée américaine, n’en croit pas ses yeux : à seulement quelques centaines de mètres, en lieu et place de l’amas de ferrailles qu’il s’attendait à découvrir, un pont intact se dresse en travers du Rhin !

Plus incroyable encore : comme inconscients de la réalité de la guerre et du danger qui les menace, une incroyable noria de véhicules, de fantassins et de civils allemands est tranquillement occupée à passer d’une rive à l’autre !

La scène a quelque chose de surréaliste, et d'autant plus qu'en début de matinée, Timmerman et ses hommes étaient encore à près de 20 kilomètres au nord-ouest de cette petite bourgade de Rhénanie-Palatinat, dont personne parmi eux n'avait jamais entendu parler.

A quelques centaines de mètres en arrière, le peloton de M26 Pershing du Lieutenant John Grimball se tient prêt à intervenir en cas de résistance allemande, mais à leur bord, le sentiment qui domine est bien davantage l'ennui que l'excitation.

Depuis leur arrivée en Europe, si ces nouveaux tanks de 42 tonnes ont accumulé les problèmes mécaniques, ils n'ont en revanche rencontré que fort peu d'opposition, en sorte que nombre de leurs occupants en sont venus à penser qu'au rythme où le Troisième Reich est en train de s’effondrer, ils arriveraient à Berlin sans même avoir pu inscrire un seul Panther ou Tiger à leur tableau de chasse.

D’autant qu’avant d’arriver à Berlin, il faudrait d’abord réussir à franchir le Rhin, ce qui paraît d’autant plus difficile que depuis Cologne, 46 kilomètres plus au Nord, tous les ponts ont systématiquement été détruits par une Wehrmacht en pleine retraite.

Et quand bien-même parviendrait-on à en trouver un encore intact que celui-ci serait probablement impraticable à ces patauds et encombrants engins, à la fois dix tonnes plus lourds et un mètre plus larges (1) que les classiques Sherman de l’armée américaine…

(1) Bien qu’un quinzaine de tonnes plus léger que le Tiger allemand, le Pershing était, avec ses 3.5 mètres, aussi large que ce dernier, dont nous avons souvent mentionné les problèmes pour franchir les ponts

mardi 21 décembre 2010

2846 - la loi de l'emmerdement maximum

... 11h00

À sa manière, le major Hans Scheller est l'incarnation vivante - mais hélas plus pour longtemps - de la célèbre Loi de Murphy.

Dès les premières heures du 7 mars, l'intéressé a en effet fait connaissance avec cette "Loi de l'emmerdement maximum", lorsque, sur la route de Remagen, il s'est rapidement retrouvé séparé de la demi-douzaine d'opérateurs radio qui devaient assurer la liaison avec l'État-major du général Hitzfeld.

Et les choses n'ont fait qu'empirer dès son arrivée au pont, vers 11h00. Déjà abasourdi par le chaos provoqué par l'afflux continu de réfugiés et de soldats en retraite, Scheller a rapidement été consterné par le rapport du capitaine Bratge quant aux moyens et effectifs réellement disponibles sur place.

Et quand il a essayé de rassembler quelques traînards afin de constituer une unité de défense improvisée, ceux-ci se sont empressés de s'engouffrer dans le tunnel ferroviaire et de disparaître à peine leur avait-il tourné le dos !

Plus question, dans ces conditions, d'organiser la moindre résistance sur la rive occidentale du Rhin : il faudra se contenter de la rive droite, où les deux tours du pont, et le tunnel, permettront au moins d'abriter pour un temps la quarantaine de fantassins et la poignée de mitrailleuses dont dispose le capitaine Bratge.

Les mauvaises nouvelles ne s'arrêtant pas là, les hommes de Friesenhahn viennent quant à eux de constater qu'en lieu et place des 600 kilos d'explosifs militaires promis, on vient de leur livrer seulement 300 kilos d'un explosif industriel beaucoup moins puissant.

Ceux-ci n'étant cependant destinés qu'au dispositif de secours, cette déconvenue n'est a priori pas catastrophique et n'a d'ailleurs pas empêché les artificiers de raccorder également la charge principale au système au électrique - qu'ils ont à nouveau retesté - ni même d'installer une mine sous la rampe d'accès occidentale, et ce afin de barrer la route sinon aux fantassins, du moins à d'éventuels blindés américains...

lundi 20 décembre 2010

2845 - la patate chaude

... 07 mars, 08h00

À son corps défendant, le capitaine Willi Bratge est devenu le symbole par excellence d'une Wehrmacht à présent au bout du rouleau.

Si sa mission consiste tout simplement à protéger le Pont ferroviaire de Remagen jusqu'à sa destruction complète, les effectifs nécessaires à l'accomplissement de la dite mission n'existent plus que sur le papier.

Pourtant promis, les Panzers brillent toujours par leur absence; les Hilfswillige (1) ont disparu dans la nature; les Hitlerjugend manquent désormais à l'appel et, pire encore, le bataillon de Flak jusque-là posté sur la colline surplombant le tunnel ferroviaire vient d'être expédié ailleurs, en même temps que ses canons de 88mm.

Concrètement, Bratge ne dispose donc que d'une quarantaine de fantassins qui, comme lui, s'apparentent davantage à des fonds de casernes qu'à des combattants d'élite. Mais son véritable problème serait plutôt de ne pas savoir de qui prendre les ordres ni à qui réclamer des renforts.

Le 26 février, il a en effet appris qu'il relevait désormais de la 5ème Panzer... laquelle a pourtant quitté les environs depuis plusieurs semaines !

Toujours sur le papier, le commandement opérationnel du secteur repose sur les épaules du général Botsch qui, non content de n'avoir lui aussi quasiment aucune troupe à sa disposition, vient juste d'être expédié ailleurs et sans même avoir eu le temps de briefer son successeur désigné, le général von Bothmer

Ayant déjà bien assez de mal à organiser la défense de Bonn, ce dernier a alors décidé, dans la nuit du 6 mars, d'abandonner celle de Remagen aux bons soins du général Hitzfeld dont le Q.G. est pourtant situé à plus de 60 kms de la ville (2)

Dans ce jeu où tout le monde se refile la patate chaude - ou plus exactement un pont - Hitzfeld n'avait probablement jamais entendu parler de Remagen auparavant, ce pourquoi, et ayant lui aussi bien d'autres soucis en tête, il s'est contenté de n'y expédier qu'un seul officier, le major Hans Scheller, qui, en compagnie de son chauffeur et d'une demi-douzaine d'opérateurs radio, a immédiatement pris la route vers ce pont dont il doit en principe assurer le commandement et veiller à la destruction...

(1) sur les Hilfswillige (ou Hiwis) : Saviez-vous que... 2517-18
(2) par contraste, Bonn n'est qu'à environ 20 kms de Remagen

dimanche 19 décembre 2010

2844 - prêts, mais pas trop...

... Remagen, 6 mars 1945

A plus de 50 ans, le capitaine Karl Friesenhahn pensait avoir trouvé sinon la paix, du moins une confortable sinécure lorsqu'il avait reçu le commandement du Pont de Remagen.

Mais en ce début de mars 1945, la guerre a néanmoins fini par le rattraper, sous la forme d'une directive de l'État-major, lui enjoignant de préparer le dynamitage.

Malgré le manque de moyens, Friesenhahn et sa petite équipe d'artificiers se sont aussitôt attelés à la tâche avec une rigueur toute germanique, mais la question de savoir qui donnera l'ordre, et quand cet ordre sera donné, demeure entière.

L'idéal bien sûr serait de ne prendre aucun risque et de déclencher l'explosion toutes affaires cessantes.

Mais il y a les réfugiés et les débris de la 15ème Armée, qui ont besoin de ce pont pour se mettre à l'abri de l'autre côté du Rhin, et il y a aussi Hitler, qui depuis l'attentat raté du 20 juillet ne fait plus confiance à personne et entend prendre lui-même toutes les décisions.

Surtout, le Führer se plaît plus que jamais à entretenir de nombreuses chimères,... à commencer par celle de repartir à l'offensive à l'Ouest, ce qui impliquerait évidemment de retraverser le Rhin dans l'autre sens, et donc de disposer de ponts encore intacts.

Encore faut-il également prendre en compte le risque d'un accident : depuis le début du conflit, plusieurs ouvrages d'Art ont en effet disparu prématurément suite à une explosion des charges provoquée par l'erreur d'un artificier, un incendie, ou l'impact direct d'un obus sur les charges de démolition. Et à Liège, le 31 août 1939, on a même vu la foudre expédier au paradis de la ferraille le Pont du Val-Benoît préventivement miné par l'armée belge (1)

L'un dans l'autre, Frisenhahn et ses hommes se sont donc contentés de placer les explosifs sans les raccorder au système électrique de mise à feu, un système néanmoins testé plusieurs fois par jour, et protégé par un épais tube métallique qui court sur toute la longueur du tablier.

Par sécurité, ils ont également installé un dispositif de secours totalement indépendant, constitué de charges actionnées quant à elles par un classique système pyrotechnique.

Des charges qui n'ont cependant pas encore été mises en place...

(1) cet accident spectaculaire, qui s'était produit juste avant le passage du train Liège-Luxembourg, avait fait une centaine de morts et de blessés.

samedi 18 décembre 2010

2843 - la Chute de Cologne


... fin février, la 1ère Armée américaine a elle aussi lancé son offensive vers le Rhin.

Et là aussi, la Wehrmacht, qui n'a d'autre choix que de combattre sur un Front de plusieurs centaines de kilomètres, de Nimègue à Colmar, la Wehrmacht, donc, a été rapidement débordée, en sorte que, dès le 5 mars, les avant-gardes du général Courtney Hodges ont atteint les faubourgs de Cologne, dont elles se sont emparées en moins de deux jours.

Si le dynamitage du Pont Hohenzollern (6 mars) empêche - provisoirement - les GI's de passer sur la rive droite du Rhin, l'État-major allemand, totalement pris au dépourvu, n'a aucune raison de pavoiser, lui qui ne dispose sur la rive gauche que de troupes désormais bien incapables de s'opposer aux infiltrations américaines tout au long du fleuve.

De toute manière, en cas de résistance, les GI's peuvent compter non seulement sur le soutien de leur Aviation, mais aussi sur celui des tout nouveaux M26 Pershing, qui viennent à peine d'entrer en service.

Avec ses 42 tonnes, et son canon de 90mm, le Pershing est au moins l'égal du Panther allemand et - du moins en puissance de feu - peut même rivaliser avec le Tiger, lequel, bien que toujours aligné en (trop) petites quantités, constitue la hantise et le cauchemar de tous les tankistes alliés depuis 1943.

Ironiquement, en cette dernière année de guerre, les faiblesses du Pershing américain sont exactement les mêmes que celles des tanks allemands qu'il est supposé combattre : une disponibilité insuffisante, une fiabilité (très) aléatoire, et surtout un poids et en encombrement qui se prêtent mal à la plupart des routes et des ponts européens, comme la démonstration va bientôt en être apportée, 46 kilomètres plus au Sud, à Remagen...

vendredi 17 décembre 2010

2842 - le Pont Ludendorff

... Remagen est une petite ville de Rhénanie-Palatinat, plantée comme tant d'autres le long du Rhin.

A une heure de route de Cologne, et à un jet de pierre de Bonn, rien ne la prédestine à entrer dans l'Histoire, une Histoire où elle ne s'est d'ailleurs avancée qu'à reculons, et de manière inachevée, lors de la Première Guerre mondiale.

En 1916, donc, l'État-major du général Ludendorff y a réclamé un pont afin de faciliter le trafic militaire entre les deux berges du fleuve et, au-delà, vers le Front occidental.

Mais si le pont le "Pont Ludendorff" - ainsi baptisé en hommage au grand homme - a pu être inauguré deux ans plus tard, les multiples voies ferrées nécessaires à son utilisation militaire sont encore loin d'être achevées à la signature de l'Armistice.

La Paix revenue, les touristes, qui à la belle saison aiment se promener d'une rive à l'autre en empruntant les passages piétonniers érigés de part et d'autre des rails, les touristes, donc, ont pendant longtemps supplanté les locomotives, jusqu'à ce que le réarmement allemand des années 1930 ne redonne une nouvelle vie à ce pont fort peu stratégique

Structurellement, l'ouvrage est constitué d'un tablier d'acier de 325 mètres de long reposant sur deux piliers de maçonnerie plantés au beau milieu du Rhin. Réminiscence du romantisme allemand, ou simple attrait pour la surcharge, ses architectes se sont cru obligés de le flanquer, de chaque côté, de deux tours d'aspect médiéval qui, sur la rive droite, dissimulent l'entrée d'un tunnel creusé sous la colline.

Au début de mars 1945, les touristes ont depuis longtemps cédé la place aux réfugiés et aux militaires, ce qui a d'ailleurs incité les autorités à recouvrir les voies ferrées d'un plancher de bois destiné à faciliter le passage des hommes et des véhicules.

La progression inexorable des armées alliées implique naturellement son dynamitage à brève échéance, mais, la Wehrmacht ayant bien d'autres chats à fouetter, les charges prévues n'ont pas encore été mises en place (1)

(1) en 1939, le Pont Ludendorff avait, comme tous les autres ouvrages jetés en travers du Rhin, été préparé pour la démolition. Mais le sort des armes s'étant finalement avéré favorable aux desseins hitlériens, les explosifs avaient rapidement été enlevés

jeudi 16 décembre 2010

2841 - jouer avec le feu

... combattre le dos à un fleuve, et a fortiori en état d'infériorité numérique et matérielle, est en réalité le plus sûr moyen de courir à la défaite et à l'anéantissement.

Vieux routier de la Wehrmacht, et commandant - pour quelques jours encore - de l'OB West, le maréchal von Rundstedt ne le sait que trop bien, qui souhaiterait que les troupes allemandes encore présentes tout au long de la rive gauche du Rhin passent immédiatement sur la rive droite, où elles pourraient au moins souffler un peu et organiser une défense efficace

Mais Hitler, prisonnier de sa logique - ou de sa démence - ne veut pas en entendre parler, en sorte que le repli - lorsque repli il y a - ne peut s'opérer que sur son ordre exprès, c-à-d souvent trop tard, et toujours dans les pires conditions possibles.

Dans cette logique, et dans l'attente des "ordres personnels du Führer", les ponts doivent impérativement être maintenus intacts jusqu'à la toute dernière extrémité, et ce afin de permettre l'acheminement des renforts, puis l'évacuation éventuelle des civils et finalement des troupes engagées sur la rive menacée par l'ennemi.

Même si les artificiers allemands ont désormais acquis une expérience inégalable dans le dynamitage des ouvrages d'art, ils risquent, à force de jouer avec le feu, de finir par se brûler les doigts : à Nimègue, on s'en souvient, le pont routier, pourtant miné, avait déjà refusé de sauter au passage des Sherman des Irish Guards; et le 3 mars, l'affaire a encore failli tourner à la catastrophe, lorsque le Pont d'Oberkassel, près de Düsseldorf, ne s'est abîmé dans le Rhin que quelques minutes avant l'arrivée des soldats américains...

mercredi 15 décembre 2010

2840 - résister sur place


... mais pour comprendre les raisons de ce que l'on va bientôt appeler "le Miracle de Remagen", il faut repasser de l'autre côté du Rhin - c-à-d du côté allemand - et tenter de se mettre dans la peau - ou plutôt l'esprit - d'un dictateur aux abois - Adolf Hitler - qui, sachant la Fin proche est plus que jamais convaincu de l'absolue nécessité de ne plus céder un seul pouce de terrain.

Pour Hitler, les soldats - et même les civils - doivent se battre où ils se trouvent et non pas se lancer dans des replis qui, pour être "stratégiques" n'en sont pas moins des retraites.

Devant Moscou, lors de l'hiver 1941-1942, cette conception, aux antipodes de celle défendue par un homme comme Erich von Manstein, cette conception a probablement sauvé la Wehrmacht d'une nouvelle Berezina. Mais devant Stalingrad, un an plus tard, et ensuite en Tunisie puis en Normandie, elle s'est au contraire révélée catastrophique, en condamnant à la mort ou à la captivité des dizaines de milliers de fantassins aguerris et donc difficiles à remplacer (1)

Avec l’aggravation de la situation militaire, cette tendance jusqu’au-boutiste n'a fait que s'accentuer. Et comme chaque fantassin allemand est loin, en ce domaine, de partager les vues de son Führer, il a évidemment fallu se résoudre à multiplier les mesures coercitives afin de les inciter à demeurer sur place et à accepter le sacrifice suprême en faveur du Heimat.

L'ordre du jour du 09 mars 1945 a ainsi institué les "Fliegende Standgericht", ou "courts martiales mobiles accélérées" qui, en plus des juges militaires, comprennent leur propre peloton d'exécution et ne manquent pas d'en faire grand usage sur les traînards, déserteurs et autres "défaitistes" allemands.

Le 13 mars, Hitler va aller encore plus loin : dans une directive cette fois plus spécialement dédiée aux officiers de l'armée et aux cadres du parti national-socialiste, il va en effet rappeler que "le premier des devoirs d'un chef militaire est de fanatiser politiquement ses hommes, et il sera pleinement responsable devant moi de leur comportement national-socialiste".

Le problème, c'est que la réalité militaire ne s'embarrasse guère des slogans...

(1) Saviez-vous que... La Guerre à l'Est

mardi 14 décembre 2010

2839 - du Nord au Sud

... au même moment, mais des centaines de kilomètres plus au Sud, la 1ère Armée française, renforcée de trois divisions d'Infanterie américaines, a également entrepris sa marche vers le Rhin

Le 20 janvier, elle a lancé son attaque sur Colmar, dont elle s'est emparée le 3 février, malgré la résistance acharnée des soldats allemands qui, une semaine plus tard, n'ont eu d'autre choix que de retraiter sans gloire sur la rive droite de Rhin, en faisant, là encore, sauter tous les ponts.

Mais entre les 1ère canadienne et 9ème américaine au Nord, et la 1ère française au Sud, on trouve encore les 1ère, 3ème et 7ème américaine, qui sont à leur tour passées à l'offensive !

La 3ème - celle de Patton - a commencé par se rendre maître des deux rives de la Moselle, avant de pousser jusqu'au Rhin, qu'elle a atteint le 10 mars. Mais elle a également, et simultanément, lancé une offensive en Sarre, où elle a été rejointe dès le 15 mars par la 7ème.

Sous l'action conjuguée de ces deux armées américaines, et de la 1ère française remontant de Colmar, les troupes allemandes présentes dans la région se sont rapidement retrouvées prises dans un étau, qui les a broyées en huit jours.

Encore deux jours de plus, et le 25 mars 1945, d'Arnhem à Bâle, toute résistance ennemie a pour ainsi dire cessé sur la rive gauche.

Mais de cette offensive générale vers le Rhin, l'Histoire a surtout retenu le rôle de la 1ère américaine, et le nom d'un pont ferroviaire situé près d'une ville connue sous le nom de Remagen...

lundi 13 décembre 2010

2838 - une Grenade avec ça


... dans la foulée de Veritable, la 9ème Armée américaine doit quant à elle franchir la rivière Roer puis remonter vers le Nord, en direction de Wesel et Xanten, afin de faire sa jonction avec la 1ère Armée canadienne.

Mais la clé de la Roer, ce sont les deux barrages d'Urft et de Schwammenauel, contre lesquels la 12ème Armée américaine bute d'ailleurs depuis l'automne précédent.

S'en emparer intacts constitue donc un impératif qui, une fois de plus, ne va être rempli qu'à moitié : si celui d'Urft finit par tomber sans trop de difficultés, son homologue de Schwammenauel n'est capturé qu'après que les Allemands aient eu le temps de faire sauter les vannes de retenue.

Et le résultat de ce demi-succès ne se fait pas attendre : en moins d'une heure, la zone où doivent attaquer les hommes de la 9ème Armée se retrouve noyée sous plus de 60 cm d'eau et de boue, ce qui va contraindre les malheureux GI's à patienter pendant... deux semaines, le temps que le terrain redevienne praticable !

Ce n'est donc que le 23 février que l'Opération Grenade peut enfin être lancée. Et si celle-ci se déroule enfin conformément aux prévisions, le retard pris en cette occasion, en plus de s'avérer coûteux en vies canadiennes, a permis à des dizaines de milliers de soldats allemands d'échapper à l'encerclement et à la capture.

Le 10 mars, les derniers d'entre eux ont en effet trouvé refuge sur la rive droite du Rhin, après avoir fait sauter tous les ponts sur leur passage...

dimanche 12 décembre 2010

2837 - Veritable


... le 8 février 1945, donc, la 1ère Armée canadienne donne l'assaut sur la forêt de Reichswald, où les choses - mais faut-il s'en étonner ? - ne se passent pas franchement comme prévu.

En plus des troupes allemandes - qui défendent à présent leur terre natale et peuvent s'appuyer sur divers ouvrages fortifiés - il faut en effet affronter un terrain infect qui, en cette fin d'hiver, se prête d'autant plus mal au passage des blindés, et même des fantassins, que les Allemands l'ont de surcroît inondé, en faisant sauter les digues et en ouvrant toutes grandes les vannes des barrages avoisinants.

Et si cela ne suffisait pas encore, il y a les faiblesses inhérentes à cette armée canadienne qui en plus d'être sous-équipée est perpétuellement à court d'hommes : depuis sa déclaration de guerre à l'Allemagne (10 septembre 1939), le gouvernement de MacKenzie King n'est toujours pas parvenu à imposer la conscription obligatoire et généralisée pour le service outre-mer, en sorte que les dizaines de milliers de Canadiens qui se battent en Europe depuis la malheureuse affaire de Dieppe (1) continuent de le faire sur la base d'un volontariat désormais incapable de satisfaire les besoins (2)

L'un dans l'autre, l'Operation Veritable se transforme donc en une nouvelle procession d'escargots : même si la Ligne Siegfried est enfoncée dès le 10 février, les malheureux soldats canadiens en auront pour deux semaines supplémentaires à patauger dans la boue avant de se rendre enfin maîtres de la Reichswald.

Pitoyable performance, donc, mais néanmoins très supérieure à celle de la 9ème Armée américaine qui, depuis deux semaines, en est quant à elle réduite à regarder les flaques d'eau...

(1) Saviez-vous que... - 2150 à 2154
(2) sujet politiquement explosif au Canada, et particulièrement au Québec, la conscription ne fut imposée - et de manière très limitée - qu'en novembre 1944, en sorte que moins de 3 000 conscrits furent expédiés en Europe avant la fin de la guerre.

samedi 11 décembre 2010

2836 - la marche au Rhin


... mais avant de franchir le Rhin, encore faut-il arriver à s'en approcher, ce qui implique de s'emparer, au préalable, et sur plusieurs centaines de kilomètres, de Rotterdam à Bâle, de tous les territoires, villes et villages situés sur sa rive gauche.

Au Nord, il s'agit en particulier de se rendre maître de toute la zone comprise entre la Meuse et le Rhin.

Prévue pour le début de janvier 1945, cette opération - Valediction - a néanmoins dû être reportée d'un mois, suite à la contre-attaque allemande dans les Ardennes.

A présent rebaptisée Veritable, et placée sous le commandement suprême du décidément inamovible Maréchal Montgomery, elle se présente schématiquement de la manière suivante.

Depuis Nimègue, et plus exactement depuis Groesbeek (une dizaine de kilomètres plus au Sud), la 1ère Armée canadienne, renforcée d'éléments britanniques et notamment du désormais célèbre 30ème Corps, la 1ère Armée, donc, va attaquer vers le Sud-Est à travers la zone forestière de Reichswald, et en direction de Xanten où, dans un très classique mouvement d'enveloppement, elle fera alors sa jonction avec la 9ème Armée américaine, venue à sa rencontre après avoir traversé la Roer au terme de l'Opération Grenade.

Sur près de 50 kilomètres, de Nimègue à Wesel, on aura ainsi purgé la rive gauche du Rhin de toute présence militaire allemande.

Voilà pour la théorie.

Mais en pratique, et comme de coutume, les choses ne vont pas vraiment se passer comme prévu...

vendredi 10 décembre 2010

2835 - à l'Ouest, du nouveau


... pendant des siècles, les cours d'eau ont souvent servi de frontières mais aussi de remparts naturels à toute invasion.

En ce début de 1945, le cœur de l'Allemagne est donc protégé, à l'Est, par l'Oder, et, à l'Ouest, par le Rhin, deux fleuves puissants mais qui ne sont cependant plus de taille à barrer durablement la route à un adversaire déterminé et disposant de gros moyens matériels et humains.

Si l'Armée rouge est parvenue, le 30 janvier, à s'affranchir de l'Oder, dernier rempart à l'Est, l'ampleur des pertes qu'elle a subi en cette occasion n'est pas supportable sur le Rhin, où les généraux, et particulièrement les généraux américains, doivent pour leur part rendre des comptes à une opinion publique qui, sachant la victoire de plus en plus proche, supporte de plus en plus mal le sacrifice de ses fils, frères ou époux.

C'est avec cette contrainte à l'esprit que l'État-major d'Eisenhower a donc imaginé un plan aux antipodes de celui défendu par Montgomery à l'automne précédent.

Finie l'attaque sur un axe étroit - pour ne pas dire limité à la largeur d'une route - et place à une offensive menée sur un Front large de plusieurs centaines de kilomètres.

Oublié l'espoir de s'emparer d'un pont intact - les Allemands. personne n'en doute, ne répéteront pas deux fois l'erreur d'Arnhem - et place à des ponts provisoires, que l'on jettera à chaque fois en travers du Rhin au fur et à mesure des besoins et des opportunités qui pourront se présenter.

Simple en apparence, ce plan exige néanmoins une logistique impressionnante et, surtout, des conditions favorables, lesquelles sont loin d'être remplies...

jeudi 9 décembre 2010

2834 - tourisme sur cendres

... Dresde, 16 février

Un calme effrayant s'est abattu sur la grande ville de Saxe, réduite à néant par les bombardements britanniques, puis américains, des jours précédents.

Totalement dépassées par l'ampleur de la catastrophe, des équipes de sauveteurs fouillent les gravats à la recherche d'éventuels survivants, mais ne trouvent souvent que des cadavres, dont le nombre va bientôt imposer une méthode d'élimination directement héritée du Moyen-Âge.

"Des travailleurs et des prisonniers russes creusèrent des tombes dans les cimetières de Dresde pour dix mille tombés au champ d'honneur. Survint un radoucissement du temps (...) qui accéléra la décomposition. Il ne restait plus d'autre choix (...) que de donner l'autorisation d'incinérer les corps. Cela eut lieu sur l'Altmarkt, où l'on bâtit d'immenses grils avec des poutrelles de fer. Sur chacun d'eux, on disposa environ cinq cents corps les uns sur les autres. On les imprégna d'essence et on y mit le feu" (1)

Ironie : ces grils improvisés ont été construits avec la participation de SS qui ont appris cette méthode de crémation pour le moins originale au camp d'extermination de Treblinka...

A l'énoncé des pertes et des destructions, Hitler parle d'exécuter autant de prisonniers de guerre anglo-américains qu'il y a eu de civils allemands tués dans le bombardement, ce qui, dans son esprit, reviendrait, en reniant les Conventions de Genève d'une manière aussi flagrante, à contraindre les troupes allemandes à se battre jusqu'au bout.

Ce n'est qu'à grand-peine que l'État-major de l'armée parvient à le convaincre d'y renoncer...

Mais l'infatigable Ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, a une autre idée, plus originale, celle d'organiser, sur les ruines-même de Dresde, une sorte de "tourisme des cendres" : tous les soldats allemands ayant de la famille à Dresde vont ainsi se voir accorder des permissions exceptionnelles qui leur permettront de visiter la ville - ou plutôt ce qu'il en reste - et, à leur retour en unités, d'en parler à leurs camarades, ce qui, pense-t-on, devrait les inciter à se battre avec une ardeur renouvelée, convaincus qu'ils seront qu'il n'y a rien à attendre de plus des Anglo-Américains que des Soviétiques.

Las : c'est tout le contraire qui se produit : à présent confrontés à la perspective d'une annihilation totale de leur pays, les soldats du Front de l'Ouest vont, dans les jours qui suivent, lutter de plus en plus mollement, et se laisser capturer par milliers, dizaines de milliers, et finalement centaines de milliers...

(1) cité par Jorg Friedrich, "L'Incendie", page 394. Les événements de Dresde ont toujours fait l'objet d'innombrables polémiques. Celle relative au nombre de morts ne fait pas exception. On considère aujourd'hui que les pertes humaines, évaluées à bien plus de 100 000 par l'occupant russe au lendemain de la guerre, tournent plutôt aux alentours de 35 000

mercredi 8 décembre 2010

2833 - Exodus

... à l'Est, donc, les soldats allemands continuent de se battre avec l'énergie que confère le désespoir et, de plus en plus, dans le but de faciliter la fuite de leurs compatriotes qui, par milliers, dizaines de milliers, et finalement millions de personnes, ont entrepris, par -20 degrés, et le plus souvent à pied, un interminable exode vers le Sud et l'Ouest de l'Allemagne.

Le 20 janvier 1945, un train de marchandises bondé de réfugiés entre en gare de Stolp, en Poméranie orientale. "On y voyait, déclara un témoin de la scène, des gens recroquevillés, raides de froid (...) de petits paquets rigides étaient descendus des wagons et alignés sur le quai. C'étaient des enfants morts de froid"

Le 29 janvier, les autorités allemandes estiment à quatre millions - un chiffre très inférieur à la réalité - le nombre de réfugiés se dirigeant "vers le centre du Reich". Dans les quinze jours qui suivent, ce nombre est porté à 7 millions, à plus de 8 millions le 19 février, et à plus de 11 millions le 10 mars.

Au total, ils seront plus de 15 millions à fuir, et plus de 2 millions à périr en route...

Ainsi en est-il de la plupart de ceux qui sont parvenus à monter à bord du Wilhelm Gustloff dans le port de Gottenhaffen (aujourd'hui Gnydia, Pologne). Au soir du 30 janvier, jour anniversaire de l'accession d'Hitler au Pouvoir, ce paquebot prévu pour 2 000 passagers, mais qui emporte plus de 10 000 réfugiés dans ses flancs, est torpillé par le sous-marin russe S-13.

Par une température extérieure de - 18 degrés, près de 8 000 personnes, dont une majorité de bébés et d'enfants, vont périr piétinés ou noyés dans ce qui restera la plus grande catastrophe maritime de l'Histoire (1)

Le 10 février, ce même S-13 double la mise, en envoyant par le fond le navire-hôpital General Von Steuben (3 000 morts, dont une bonne part de blessés sur civières). Le 16 avril, le L-3, loge à son tour deux torpilles dans les flancs du cargo mixte Goya, lui aussi surchargé de réfugiés et qui, brisé en deux, coule en moins de 4 minutes, entraînant dans la mort près de 7 000 réfugiés supplémentaires.

Alors que les derniers bâtiments de la Kriegsmarine s'efforcent de retarder l'arrivée des blindés soviétiques, les chasseurs-bombardiers russes écrasent sans distinction objectifs civils et militaires, et particulièrement les zones portuaires de Dantzig (aujourd'hui Gdansk, Pologne), cette ville pour laquelle personne ne voulait mourir en 1939, et où s'entassent aujourd'hui plusieurs centaines de milliers de réfugiés dans l'attente d'un improbable navire.

Les blessés sont mitraillés sur leurs civières, de même que des milliers de femmes et d'enfants qui, craignant de perdre leur place dans la file, préfèrent affronter les balles que tenter de se mettre à l'abri.

Le 26 mars, Gottenhaffen tombe enfin aux mains de l'Armée rouge, qui va s'y livrer à une telle orgie de pillages et de viols qu'elle choquera même les autorités soviétiques.

L'ONU n'existe pas encore et il n'y a personne pour venir en aide aux réfugiés ni, a fortiori, pour imposer une "trêve humanitaire" aux belligérants. Et d'ailleurs, en ce début de 1945, qui plaindrait ces civils allemands dont les époux, frères ou fils se sont livrés aux mêmes exactions contre les civils soviétiques...

(1) Saviez-vous que... 596 à 601