dimanche 31 juillet 2005

875 - "La ligne Thaïlande-Birmanie fonctionne normalement"

... inaugurée en grande pompe le 25 octobre 1943, la ligne Bangkok-Rangoon, qui a coûté des sommes colossales et des dizaines de milliers de vies humaines, s'avère pourtant un échec total.

Construite trop vite, et trop souvent dans l'improvisation totale ou en dépit du simple bon sens, elle accumule très rapidement les accidents et les déraillements. Malgré tous les efforts des responsables japonais - et surtout ceux des équipes de prisonniers constamment chargés d'entretenir et de réparer la voie - seules 600 tonnes de matériel sont acheminées quotidiennement en Birmanie. Cinq fois moins que prévu. Cinq fois mois que nécessaire...

Et lorsque, un an plus tard, les bombardiers alliés passent enfin à l'action, et se mettent à pilonner la voie, il y a déjà longtemps que celle-ci ne remplit plus la fonction stratégique indispensable qui lui était pourtant dévolue.

"J'ai reçu l'ordre de faire un film sur le thème "La ligne Thaïlande-Birmanie fonctionne normalement", souligne un cinéaste japonais. "Mais les trains ne pouvaient plus passer. Filmer une telle situation était réellement impossible. Pendant les bombardements, comme les rails étaient masqués par la jungle, les avions arrosaient tout et repartaient".

Plus question de se servir de la ligne pour acheminer des renforts en Birmanie, puis pousser jusqu'en Inde. Au printemps 1945, les rares trains qui parviennent encore à redescendre de Birmanie sont d'ailleurs bondés de soldats japonais blessés, qui croupissent pendant des jours dans des wagons à bestiaux.

Les mêmes wagons à bestiaux dans lesquels avaient également croupi les prisonniers occidentaux et les coolies indigènes quelques mois auparavant...

samedi 30 juillet 2005

874 - la grande inauguration

... le 25 octobre 1943, après quinze mois de souffrances indicibles et des dizaines de milliers de morts, le chemin de fer Bangkok-Rangoon est enfin inauguré.

La cérémonie officielle a lieu à Konkuita, au beau milieu de la jungle thaïlandaise.

Présent lors de la cérémonie, Yoshihito Futamatsu, architecte japonais chargé du tracé thaïlandais de la ligne, note "le vent, la pluie, la chaleur torride de la région", le "calme impressionnant qui s'était emparée de la jungle ce jour-là", mais aussi les "figures chevaleresques (sic) de nos soldats, [qui étaient] tirés à quatre épingles et attendaient le long de la voie"

"Un moment important,
poursuit-il, fut l'enfoncement d'un boulon à crochet d'or dans la dernière traverse en bois d'ébène. Puis nous nous sommes tous inclinés dans la direction du palais de l'Empereur. A ce moment précis, nous avons eu le sentiment profond d'avoir accompli notre mission. J'ai eu à cet instant une sensation de profond soulagement"

"Après un tel effort, nous étions tous très émus"
, ajoute le photographe officiel Shinfizo Izumi.

Magnanimes, le haut commandement japonais décréta le 25 octobre jour de repos général pour ses esclaves. Le premier en quinze mois d'un chantier qui avait vu ces derniers lancer 890 mètres de rails chaque jour, au beau milieu de la jungle...

vendredi 29 juillet 2005

873 - de constants renforts

... sur le chantier du chemin de fer de Birmanie, la mortalité des prisonniers est devenue telle que le commandement japonais doit régulièrement renouveler son stock de prisonniers-esclaves, qu'il brutalise de plus en plus, dans une tentative désespérée pour rattraper les retards.

A l'été 1943, 7 000 prisonniers britanniques des camps de Singapour sont ainsi envoyés en renfort sur la rivière Kwaï.

Après cinq jours de train, commence une effroyable marche forcée jusqu'aux différents lieux des travaux. Une marche qui va durer dix-sept jours. Une marche dans laquelle les traînards seront impitoyablement abandonnés dans la forêt, ou abattus sur place. Plus de 3 000 autres prisonniers mourront dans les six mois suivants.

"Souvent, raconte le prisonnier Ronald Searle, il y avait ces moments bizarres où l'esprit se libérait du corps et s'envolait dans les sphères les plus fantastiques.Ce détachement des facultés mentales de la misère charnelle ressemble un peu aux effets de la drogue ou à une extase religieuse, mais pour nous, c'était un acte involontaire de conservation qui nous sauvait de la folie et nous laissait dans un état de légère démence.

Après l'achèvement officiel de la ligne, le 25 octobre 1943, et leur rapatriement à Singapour, seule une centaine d'entre eux sera encore jugée apte à travailler.

jeudi 28 juillet 2005

872 - des morts partout

... l'épidémie de choléra qui s'est emparée du chantier du chemin de fer de Birmanie entretient une psychose de la maladie que les Japonais soignent à leur manière,... très particulière.

Convoqué d'urgence par le commandant d'un camp situé au bord de la Kwaï, Gerrit Bras, jeune médecin hollandais et prisonnier de guerre témoigne :

"C'est en arrivant à la nuit que j'ai compris pourquoi j'avais été convoqué. Plusieurs jours auparavant, les Japonais avaient cru diagnostiquer un cas de choléra. Le prisonnier avait d'abord été isolé dans la forêt sous une petite tente. Son état ne s'améliorant pas, ils avaient décidé de l'abattre et de brûler son corps. (...) Cette nuit-là, trois ou quatre prisonniers malades m'ont fait appeler. Persuadés d'être atteints du même mal, ils avaient terriblement peur de subir le sort de leur camarade. (...) Non, ils n'avaient pas le choléra. (...) Le camp a enfin trouvé le sommeil. (...) il pleuvait à verse et je pensais à ce pauvre type qui était mort pour rien. J'étais persuadé qu'il n'avait pas contracté le choléra, sinon tous les prisonniers l'auraient attrapé"

Dans le nord de la Thaïlande, un autre prisonnier assista pour sa part à une réalité bien différente

"(...) un camp de coolies transformé en véritable cimetière de corps à moitié ensevelis. Je suis allé de paillote en paillote. Il n'y avait pas âme qui vive mais des morts partout, dedans, dehors. Le camp était envahi de mouches et dégageait une odeur épouvantable. Le choléra. C'est le choléra qui les avait tous tués"

mercredi 27 juillet 2005

871 - choléra

... en mai 1943, cela fait maintenant presque un an que soixante-quatre mille prisonniers de guerre occidentaux, et plus de deux cent mille coolies indigènes, s'épuisent et meurent pour les 415 kilomètres de voie ferrée qui, à travers la jungle, les rivières et les montagnes, doit relier Bangkok à Rangoon.

Comme il fallait s'y attendre, et malgré une véritable débauche de brutalité, la construction a déjà pris beaucoup de retard, ce qui tombe d'autant plus mal que, dans le Pacifique, les Alliés sont passés à la contre-offensive, forçant petit à petit le Japon à reculer.

Il faut de toute urgence finir le chantier, quel qu'en soit le prix matériel et surtout humain. Suivant le vieux principe des vases communicants, la mauvaise humeur et l'insatisfaction du Haut-Commandement nippon se répercute sur les commandants régionaux, puis locaux, pour aboutir finalement aux gardiens du chantier, qui redoublent aussitôt de brutalité à l'égard de leurs prisonniers-esclaves.

En cette période de mousson, les eaux de la Kwaï se mettent à charrier la boue, les cadavres,... et le choléra, qui se répand comme une traînée de poudre.

Prisonnier de guerre au camp de Sonkurai, George Aspinall écrit : "Ceux qui souffraient du choléra, on les isolait sous deux grandes tentes. Ils restaient là, couchés. Ils n'étaient pas soignés. Quand ils étaient morts, leurs corps étaient entassés dans une grande fosse et on les brûlait. Un bûcher était entretenu en permanence pendant des semaines. Tous les jours, on avait dix, vingt, trente morts à brûler".

Quand le camp de Sonkuraï fermera ses portes, 1 175 des 1 660 prisonniers auront péri...

mardi 26 juillet 2005

870 - après moi les mouches

... pour le prisonnier de guerre occidental, déjà affamé et épuisé, la jungle birmane et ses pièges représentent une prison dont il est impossible de s'évader.

En vérité, il n'est nul besoin de barbelés et de miradors : sans boussole, sans nourriture, sans médicament, le fugitif éventuel n'a pas la moindre chance de survivre. Et s'il est repris - ce qui arrive parfois - c'est l'exécution sommaire assurée.

Tout du reste est prétexte à punitions, qui peuvent aller jusqu'à la mort. Régis par leur code du Bushido, les soldats japonais n'ont que du mépris, et pas la moindre pitié, pour ces Occidentaux qui ont préféré le déshonneur de la reddition à une mort glorieuse au combat.

Et malheur au prisonnier privé de sa maigre ration, ou trop souvent victime de brimades : déjà malade et à bout de forces, celui-là s'affaiblit très vite, et devient inapte au travail, donc bouche inutile à nourrir.

Dans cet enfer végétal infesté de mouches et de moustiques, et ravagé par le choléra, le tragique le dispute parfois au comique, comme au camp de Chungkai dont le commandant, lassé de voir des myriades de mouches s'y abattre, se met à exiger de chaque prisonnier qu'il lui apporte, à l'appel du soir, son lot quotidien de cent mouches tuées, qui sont scrupuleusement comptées...

lundi 25 juillet 2005

869 - "Composer avec une telle quantité de prisonniers, les nourrir, représentait un grave problème"

... "Composer avec une telle quantité de prisonniers, les nourrir, représentait un grave problème", souligna Cho Isamu, chef des renseignements de l'État-major d'Asaka devant Nankin.

"J'ai immédiatement donné des ordres aux troupes : "Nous devons entièrement massacrer ces prisonniers". Au nom du commandant en chef, j'ai envoyé ces ordres par télégramme. Le terme exact était de les annihiler".

Le 13 décembre 1937, le 66ème bataillon de l'armée japonaise reçut donc un message lui enjoignant de "Se conformer aux ordres de l'État-major de la brigade : tous les prisonniers de guerre doivent être exécutés. Méthode d'exécution : diviser les prisonniers par groupes d'une douzaine de personnes. Les fusiller séparément".

Dès lors, prétendre qu'en 1942, l'État-major japonais "ne pouvait prévoir" les problèmes d'intendance que lui causerait la venue de dizaines de milliers prisonniers de guerre occidentaux relève donc de la manipulation, pour ne pas dire de l'escroquerie pure et simple

Rien n'était prévu pour eux tout simplement parce que, dès le départ, on s'était refusé de prévoir quoi que ce soit, en dehors d'exécutions sommaires et d'un travail à ce point forcé qu'il ne pouvait que les mener à la mort, ce qui, il est vrai, réduisait tout naturellement le nombre de bouches à nourrir et à garder...

dimanche 24 juillet 2005

868 - que faire de tous les prisonniers ?

... après guerre, beaucoup ont prétendu que le triste sort réservé aux prisonniers de guerre occidentaux s'expliquait non seulement par les "différences culturelles" existant entre ces derniers et leurs geôliers japonais, mais aussi par le fait que le Japon, pays pauvre et en guerre, n'avait tout simplement pas assez de nourriture, de médicaments et de ressources à leur consacrer, et qu'il ne pouvait pas prévoir qu'ils se rendraient en si grand nombre, parfois sans même avoir combattu.

Les milliers de victimes des "death march" aux Philippines, celles du chemin de fer de Birmanie, et tant d'autres, s'expliqueraient donc d'abord et avant tout par l'insuffisance des camions, le manque d'essence, la pénurie de riz ou encore celle de médecins.

Du sadisme criminel, on en vient donc tout naturellement au simple homicide par défaut de prévoyance et de précaution.

C'est oublier un peu vite que dès le début de ses conquêtes, c-à-d dès le début des années 1930, le Japon s'était déjà trouvé confronté, et à plusieurs reprises, à la problématique des prisonniers de guerre étrangers, et qu'il y avait à chaque fois répondu de la même manière : en les exécutant sur place, ou en les traitant comme des esclaves, jusqu'à ce que Mort s'ensuive.

Ainsi, au début du mois de décembre 1937, devant Nankin, le Prince Asaka Yasuhiko, membre de la famille impériale japonaise, s'était trouvé confronté à un problème de taille : que faire des deux cents ou trois cents mille soldats chinois disposés à se rendre ?

samedi 23 juillet 2005

867 - la logique de l'inhumanité

... dans les dictatures, les vies humaines pallient l'absence de moyens mécaniques pour creuser, défricher, bâtir, mettre en oeuvre tous les projets cyclopéens dont celles-ci sont friandes.

Le Japon de Hirohito ne possédait pas les bulldozers, les grues, les excavatrices, les bataillons de génie spécialisés, la formidable logistique dont s'enorgueillissait l'Amérique de Roosevelt. Elle disposait en revanche d'une main d'oeuvre quasi inépuisable et surtout gratuite, puisque composée des dizaines de milliers de prisonniers de guerre occidentaux corvéables à merci, et de centaines de milliers de coolies que l'on pouvait rafler dans tous les pays conquis, et faire travailler jusqu'à la mort.

Déjà fort mal disposés à l'égard des uns et des autres, les quelque dix-huit mille soldats et ingénieurs nippons qui accompagnaient leur armée d'esclaves se raidirent encore davantage à mesure que les difficultés de l'entreprise provoquèrent une véritable explosion des coûts et des retards dont chacun se sentait redevable devant l'Empereur.

"Notre tâche consistait à finir le travail dans les délais imposés", souligna l'ingénieur Juji Tarumoto. "Le manque de moyens techniques ne pouvait être compensé que par l'énergie humaine et la force. L'individu en tant que tel ne comptait plus et ne pouvait pas être pris en considération. La construction avait débuté des deux côtés de la ligne. Pour pouvoir réaliser la jonction à Konkuita, l'individu devait être oublié au profit du terrible pouvoir de la force de travail grâce à laquelle nous avons réussi"

La logique était implacable. Son prix en serait terrible...

vendredi 22 juillet 2005

866 - l'occasion manquée

... avant guerre, l'Asie-Pacifique hébergeait quantités de groupuscules indépendantistes opposés au colonialisme européen, le colonialisme des "Blancs", que l'on retrouvait en Indochine, en Malaisie, en Indonésie, aux Philippines, en Birmanie ou encore à Hong-Kong ou Singapour.

Dans leur propagande, les Japonais avaient promis de libérer ces pays du joug occidental, et de les associer dans la "grande sphère de co-prospérité asiatique" qu'ils se proposaient de mettre en place après avoir vaincu les Blancs.

Et de fait, dans les premiers jours de la guerre, les autochtones de ces différents pays accueillirent plutôt favorablement ces soldats japonais qui venaient de porter un coup fatal à la suprématie de l'homme blanc sur le reste du monde. C'était en quelque sorte la revanche des "petits hommes jaunes" et des sans-grade sur les colonisateurs venus de l'autre bout du monde pour s'approprier les richesses locales et imposer leurs normes, langues, coutumes et valeurs.

Malheureusement pour eux, les Japonais répétèrent à l'identique l'erreur des Allemands en Ukraine qui, eux aussi, avaient été relativement bien accueillis, au début, par des populations locales quant à elles opprimées par des décennies de communisme.

Hélas, les Allemands considéraient les Ukrainiens, et plus généralement tous les citoyens d'Europe de l'Est, comme des sous-hommes, qu''ils se mirent donc en devoir de rançonner et de traiter plus mal encore que ne l'avaient fait les commissaires politiques bolcheviques.

En quelques semaines, l'armée allemande gâcha stupidement son maigre capital de sympathie, et s'aliéna pour tout le reste de la guerre des populations qui ne lui étaient pas défavorables par principe, ou qui du moins ne demandaient qu'à rester neutres.

Les Japonais ne furent pas en reste, et traitèrent les populations autochtones officiellement "libérées" avec une cruauté et une brutalité qui leur firent bientôt regretter le colonisateur blanc lequel, trop heureux de l'aubaine, s'empressa de fournir armes et équipements aux mouvements indépendantistes qu'il combattait jusque là...

jeudi 21 juillet 2005

865 - de Bangkok à Rangoon

... pour construire les 415 kilomètres de voie ferrée qui finiront par rallier Bangkok à Rangoon, il faut s'enfoncer en pleine jungle, à travers un relief très accidenté, qui implique l'édification d'une multitude de ponts, viaducs et ouvrages d'art de toute taille.

Répartis dans une soixantaine de camps établis d'un bout à l'autre du tracé, soixante-quatre mille prisonniers de guerre occidentaux et plus de deux cents mille coolies indigènes vont lutter pendant quinze mois contre la faim, la maladie, ou l'épuisement, et endurer les pires sévices, afin de permettre à leurs tortionnaires japonais de réaliser leur rêve.

Un rêve de grandeur impériale qui, au final, engloutira plus de cent mille d'entre eux, dévorés par la jungle, ou charriés tout au long de la rivière Kwaï, par laquelle transite le ravitaillement et les matériaux de construction.

Dans la logique japonaise du Bushido, la mort est préférable au déshonneur de la reddition, ce qui explique l'incommensurable mépris dans lequel les Japonais tiennent les prisonniers occidentaux qui, plutôt que de combattre jusqu'au dernier homme, ou de se suicider, se sont rendus par milliers aux troupes impériales.

"Nous avions un certain mépris pour les prisonniers de guerre", commentera sobrement Yoshihito Futamatsu, architecte japonais chargé du tracé thaïlandais de la ligne, "parce que pour nous ces hommes avaient accepté la défaite. Notre éducation au Japon nous avait préparé à refuser la défaite et à refuser la soumission. Ce qui nous a poussé à considérer ces prisonniers comme des êtres inférieurs méprisables"

mercredi 20 juillet 2005

864 - le Pont de la Rivière Kwaï

...c'est une histoire de sang et de larmes, une tragédie qui débute le 15 février 1942, lorsque les 100 000 soldats britanniques du général Percival se rendent aux 15 000 Japonais du général Yamashita.

Singapour est tombée, et avec elle les illusions de l'empire britannique. En plus de la Mandchourie, de Formose et d'une bonne partie de la Chine, les Japonais contrôlent désormais Hong-Kong, la Malaisie, les Indes néerlandaises, les Philippines, la Thaïlande et la Birmanie, porte d'entrée vers l'Inde.

Pour acheminer les troupes à travers ce vaste empire, et les ravitailler, pour exporter jusqu'au Japon les richesses des pays conquis, il faut des voies de communication qui, entre la Thaïlande et la Birmanie, ne sauraient être maritimes ou aériennes. Il existe bien des tronçons de chemin de fer ici et là mais, pour finir de rallier Bangkok à Rangoon, il manque plus de 400 kilomètres de voie à construire en pleine jungle, dans des conditions dantesques.

Ces derniers 400 kilomètres, Français et Britanniques en ont rêvé à maintes reprises, avant de renoncer à chaque fois devant l'ampleur de la tâche, les coûts, le manque de rentabilité, et les problèmes de main d'oeuvre.

Pour Tokyo, en revanche, il n'est pas question de renoncer. La volonté politique est là, et deviendra bientôt une obsession. Les coûts importent peu. La rentabilité économique est sans importance. Et la main d'oeuvre est aussi innombrable que gratuite, puisque composée de 200 000 coolies recrutés de force, et de quelque 64 000 prisonniers de guerre britanniques, néerlandais, australiens ou américains qui, dès juin 1942, vont paver de leur sang chaque mètre de ce chemin de fer à voie unique qui, aujourd'hui n'a d'autre intérêt que touristique.

mardi 19 juillet 2005

863 - les grands travaux inutiles

... les dictatures se soucient peu de la vie humaine, en particulier de celle des ennemis capturés, et sont toujours friandes de réalisations pharaoniques, telles le percement de canaux et de tunnels, l'édification de murailles, ou la construction de voies de chemin de fer, grosses consommatrices de main d'oeuvre forcée, dont elles usent et abusent à leur guise.

En temps de guerre, le prisonnier d'une pareille dictature perd tout ses droits, et devient un simple outil que l'on peut brutaliser jusqu'à ce qu'il se brise, et jeter ensuite pour le remplacer par un autre n'ayant pas davantage de valeur.

A vrai dire, peu importe la véritable utilité économique - ou plus exactement la rentabilité - de la tâche assignée au prisonnier, pour autant que celle-ci corresponde à une lubie suffisamment défendue en haut-lieu, et qu'elle permette de se débarrasser à moindre frais, par la faim, la maladie, l'épuisement ou les mauvais traitements, des prisonniers excédentaires dont on ne sait que faire et que l'on ne saurait nourrir.

Les Russes avaient les goulags et leurs grands travaux sibériens. Les Allemands, les complexes industriels et leur main d'oeuvre forcée, voire concentrationnaire. Les Japonais eurent tout naturellement leurs grands chantiers de construction, dévoreurs de prisonniers alliés et d'esclaves indigènes.

Le plus connu de ces chantiers - et sans doute le moins rentable de tous - fut un chemin de fer à voie unique, qui devait finir de rallier Bangkok (Thaïlande) à Rangoon (Birmanie) à travers plus de 400 kilomètres de jungle impénétrable.

Ce fut un chantier en tout point pharaonique, qui engloutit des milliers de vies humaines et coûta à un Japon en guerre bien plus qu'il ne lui rapporta jamais.

C'est un chantier que l'on réduit souvent, et abusivement, à un seul ouvrage d'art immortalisé par le cinéma. Un pont qui enjambe une rivière qui devient célèbre grâce à lui..

Le Pont de la Rivière Kwaï

lundi 18 juillet 2005

862 - illogique

... contre toute logique militaire, le plan de l'amiral Yamamoto visant à s'emparer de Midway (Saviez-vous que... 666 à 676) et à y détruire ce qui restait de la flotte américaine du Pacifique afin de mettre définitivement le Japon à l'abri d'une contre-attaque alliée, ce plan s'achève non seulement par une retraite humiliante, mais surtout par la destruction de quatre porte-avions et de leurs équipages, que le Japon aura désormais bien du mal à remplacer.

Si Midway (4 juin 1942) marque le coup d'arrêt de l'expansion japonaise, la tragique épopée de Guadalcanal (d'août 1942 à février 1943) représente le début de la reconquête alliée.

Une reconquête toujours sanglante mais inexorable, qui va petit à petit contraindre les forces armées japonaises à céder le terrain et les richesses dont elles s'étaient emparées.

Une reconquête qui se terminera par la capitulation officielle du Japon, le 2 septembre 1945, sur le pont du cuirassé Missouri, après des millions de morts et deux bombes atomiques.

Mais pour comprendre les raisons de cette reconquête, puis de ce triomphe, des Alliés occidentaux sur une armée et une marine impériales japonaises qui semblaient pourtant invincibles durant les six premiers mois de 1942, il faut se replonger au coeur-même d'un système qui, passées les premières victoires, rendait l'effondrement inévitable.

Un système totalitaire qui allait entraîner des millions de personnes à la mort parce que régi par l'incompétence, l'irréalisme, le manque de moyens et la folie des grandeurs.

Une faillite totale qu'illustre à merveille la calamiteuse et tragique histoire du chemin de fer de Birmanie...

dimanche 17 juillet 2005

861 - imprévu

... en cinq mois seulement, le Japon s'est emparé d'un empire immense et de richesses considérables. Tous ses objectifs ont été atteints, et même dépassés, au prix de pertes finalement bien plus légères que prévu : quelques milliers de soldats, cinq destroyers, et près de 2 000 avions, mais seulement un tiers en combat aérien.

Chez les Alliés, en revanche, les pertes sont terribles et le moral au plus bas, ce qui fait dire au Haut Commandement nippon qu'ils vont forcément se mettre à la recherche d'une paix négociée qui laissera le Japon seul maître de l'Asie...

Le 18 avril 1942, pourtant, c'est le coup de théâtre. A la stupéfaction de l'État-major nippon, Tokyo a été bombardée (!) Le raid a été mené par 16 bimoteurs B25 qui, de façon invraisemblable, sont parvenus à décoller de l'étroit pont d'envol du porte-avions Hornet, lequel s'est aventuré jusqu'à 600 milles des côtes japonaises (Saviez-vous que... 663 à 665).

Sur le strict plan militaire, c'est un raid de peu d'importance - la plupart des habitants de la capitale japonaise ne s'en sont même pas aperçus - qui n'a d'ailleurs causé que des dégâts insignifiants. Au plan politique, en revanche, c'est un double coup de massue. D'abord parce qu'il prouve que le Japon n'est pas invulnérable. Ensuite, et surtout, parce qu'il démontre que, contre toute attente, les Alliés, Américains en tête, ne sont pas disposés à négocier.

Il faut de toute urgence revoir tous les plans opérationnels, et mettre définitivement le Japon hors de portée des attaques américaines.

Jusqu'ici, les stratèges japonais hésitaient encore entre deux grands axes d'attaque : vers le Sud et l'Australie, ou vers l'Est, en direction d'Hawaï. Après le raid de Doolittle, la décision de l'amiral Yamamoto est prise : il faut venger l'affront et foncer vers l'Est, mettre le Japon à l'abri de nouvelles frappes, et pour cela s'emparer de la petite île de Midway qui, comme son nom l'indique, se trouve située à mi-chemin entre la côte Ouest des États-Unis et le Japon.

samedi 16 juillet 2005

860 - inhumain

... pour les soldats japonais, la mort est de loin préférable à la défaite. Rien d'étonnant dès lors à ce que leurs prisonniers se voient accorder un traitement pire que celui du bétail promis à l'abattoir.

Élevés dès le berceau dans la tradition du Bushido, qui considère la reddition comme le déshonneur suprême, les Japonais sont sans doute psychologiquement incapables de "comprendre" ces Chinois, Américains, Britanniques, Néerlandais ou Australiens, qui se rendent par milliers, parfois sans même avoir combattu.

Ainsi, après la prise de Bataan (9 avril 1942), les quelques 80 000 soldats américains et philippins capturés se voient contraints de marcher sans nourriture, et presque sans eau, sur plus de 100kms. Près de 10.000 prisonniers vont succomber au cours de cette "death march"...

De même, la construction du chemin de fer Bangkok-Rangoon va mobiliser la bagatelle de 64.000 prisonniers britanniques, néerlandais, australiens et américains, lesquels, en compagnie de 200.000 coolies indigènes recrutés de force, vont tenter d'édifier une voie ferrée enjambant la célèbre rivière kwaï et ralliant Bangkok à Rangoon.

Durant 15 mois, ces malheureux vont travailler dans des conditions inimaginables,... et laisser plus de 100 000 des leurs dans une construction inutile.

Au seul camp de Sonkurai, on dénombrera ainsi 1 175 morts sur 1 660 prisonniers...

vendredi 15 juillet 2005

859 - inimaginable

... victorieux à Pearl Harbour, les Japonais poursuivent leur ruée, balayant toute opposition sur leur passage.

Guam tombe le 10 décembre. La minuscule île de Wake - malgré son héroïque résistance - le 23 (Saviez-vous que... 658 à 660). Le jour de Noël, c'est le tour de Hong-Kong, et le 2 janvier 1942, celui de Manille. Singapour suit le 15 février, avec la reddition des 100 000 hommes du général Percival aux 15 000 soldats du général Yamashita.

Les Indes néerlandaises, et leur précieux pétrole, succombent après trois mois de combats et le sacrifice de la flotte hollando-australienne dans la mer de Java, du 27 février au 1er mars.

Le 15 janvier, l'armée japonaise est entrée en Birmanie. Le 8 mars, elle s'empare de Rangoon. Encore un mois, et elle rejette jusqu'en Inde ce qui reste de l'armée britannique.

"Quelle raclée", tempête le général Stillwell, "on s'est fait virer de Birmanie. C'est une honte, à nous de comprendre pourquoi, afin d'y revenir et de la reprendre".

Et ce n'est pas fini : le 9 mars, le flamboyant général McArthur a dû quitter Bataan pour gagner Mindanao, et au delà, l'Australie. Un mois plus tard, les 80 000 défenseurs de l'île capitulent et entament, dans des conditions inhumaines, la célèbre "death march" qui les verra mourir par milliers d'épuisement. Le 6 mai, les survivants sont rejoints dans la captivité par les 15 000 hommes qui s'étaient retranchés à Corregidor. Les Philippines sont conquises.

jeudi 14 juillet 2005

858 - inadéquation

... en Indonésie, les Hollandais disposaient de nombreux avions relativement récents, mais pas des moyens suffisants pour les entretenir et les garder opérationnels.

Devant Singapour, les Britanniques avaient de gros cuirassés, mais pas d'avions pour les protéger; et à Singapour-même, de gros canons qui ne pouvaient tirer que vers la mer et auraient donc été parfaits pour repousser une invasion si les Japonais, décidément fort peu coopératifs, n'avaient eu la mauvaise idée de débarquer plus loin, là où personne ne les attendait, afin de prendre la ville à revers, par voie de terre, comme ils l'avaient du reste déjà fait à Port Arthur, en 1904, au détriment des armées du tsar.

Les aviateurs alliés engagés contre les Zéro japonais, auraient certes pu bénéficier de la précieuse expérience des "Tigres Volants" de l'American Volunteer Group (AVG), qui les combattaient déjà depuis des mois en Chine, si les rapports de combat de ces derniers - qui comptaient dans leurs rangs un certain Gregory "Papy" Boyington, futur commandant de la VMF 214 "Black Sheep Squadron (*) - n'avaient disparu corps et biens dans les innombrables méandres de l'administration américaine. En conséquence de quoi, les dits aviateurs alliés - Britanniques en tête - s'entêtèrent pendant des mois à affronter leurs adversaires en combat tournoyant, ce qui, face aux Zéro et Hayabusa bien plus légers et agiles, était précisément la chose à ne jamais faire.

Les marins avaient des navires, mais peu de radars et encore moins de couverture aérienne, ce qui n'était finalement qu'un moindre mal en regard des difficultés rencontrées pour faire cohabiter sous un commandement unique des Hollandais, des Australiens, des Neo-Zélandais et des Américains que tout ou presque opposait.

Quant aux fantassins, ils ne voyaient aucune honte à se rendre en masse à bien moins nombreux qu'eux - à l'image des 100 000 soldats du général Percival opposés à Singapour aux 15 000 du général Yamashita - dès lors qu'ils jugeaient la situation désespérée,... ce qui n'était certes pas la meilleure manière d'être bien traités et de rester en vie face à des Japonais considérant au contraire la reddition comme le déshonneur suprême...

(*) escadrille qui, du reste, ne fut jamais composée de repris de justice soignés par de jolies infirmières...

mercredi 13 juillet 2005

857 - incompétence

... si un profond fossé sépare toujours l'armée du temps de paix de celle du temps de guerre, ce dernier prit très vite l'allure d'un véritable abîme pour les armées occidentales engagées en Asie.

"Certains se demandaient même si les supérieurs britanniques comprenaient quelque chose à l'aviation", souligna le Commander Wright. "Dès le départ, le commandement local de la RAF s'accrocha, comme un noyé à une bouée, aux directives gouvernementales du temps de paix. Cette rigidité, due à l'incompétence, fut l'une des principales causes de l'inefficacité de nos unités" (...) A mes yeux, le commandement britannique doit être tenu pour principal responsable de l'importance du revers subi en Extrême Orient".

En vérité, plus personne ne savait où se trouvaient les Japonais, qui semblaient surgir de partout en même temps. Et personne ne comprenait comment ils parvenaient à avancer aussi rapidement à travers des terrains réputés impraticables et des jungles jugées impénétrables. La situation n'était pas meilleure sur mer, où les "Repulse" et "Prince of Wales" - deux des plus grosses unités de la flotte britannique - avaient été coulés en moins de deux heures, le 10 décembre 1941, moins par les avions-torpilleurs japonais que par l'incompétence de l'amirauté britannique, laquelle les avaient envoyés seuls et sans aucune protection aérienne dans une très vague mission de "recherche et de destruction" menée sans reconnaissance préalable mais à proximité immédiate des bases japonaises de Thaïlande (Saviez-vous que... 661 et 662)

Sous ce double effet de l'incompétence du commandement et d'une incroyable succession de revers occidentaux, le combattant japonais, jusque-là ouvertement méprisé, acquit très vite un statut quasi-surhumain, et une réputation d'invincibilité telle qu'elle poussait à battre en retraite plutôt qu'à résister.

"Le japonais est comme chez lui dans la Jungle !", affirmaient les fantassins alliés, sans réaliser une seconde que le Japon lui-même était totalement dépourvu de jungle. "Les avions japonais sont imbattables !" juraient les aviateurs alliés, incapables de comprendre pourquoi leurs Hurricane et P40 - qui s'étaient pourtant comportés honorablement face à l'aviation allemande - tombaient à présent comme des mouches face aux "Zéro" et autres "Hayabusa" nippons.

mardi 12 juillet 2005

856 - impréparation

... si les Occidentaux avaient prévu de longue date une attaque japonaise, peu de choses avaient en réalité été entreprises pour y faire face, tant chacun était persuadé du peu de valeur des soldats japonais au combat.

"Notre système de commandement, tout juste convenable en temps de paix, était totalement inadapté en temps de guerre", souligna le Commodore McCauley de la RAAF. "En Malaisie du Nord, la défense antiaérienne de nos terrains s'avéra, sans aucune exception, totalement inadaptée... De même, l'entraînement des personnels au sol laissait à désirer. L'évacuation des blessés posait d'énormes problèmes. Tout manquait pour réparer les avions, comme tout manquait pour boucher les cratères de bombes sur les pistes. Les aires de dispersion n'avaient pas été prévues sur la plupart des terrains et aucun système de camouflage n'existait... Nous n'étions tout simplement pas prêts à faire la guerre..."

"Cette incompétence, ajouta le major Wright, se vérifia à Sembawang, quand 46 Hurricane flambants neufs arrivèrent en renfort. Nous constatâmes avec horreur qu'ils n'avaient fait l'objet d'aucune préparation. Leurs mitrailleuses, par exemple, étaient encore empaquetées. Deux jours de travail furent nécessaires pour les rendre aptes au combat, deux jours mis à profit par les Japonais pour en détruire la moitié au sol et endommager les autres"

(...) "il fut impossible de faire appel aux Indigènes pour les travaux courants car le montant des salaires prévu pour un tel cas était sans rapport avec le coût de la vie. Nos aviateurs payèrent de leur poche le personnel indigène nécessaire à la vie de leur unité, environ 300 personnes, et la nourriture"

(...) "Pour les 80 avions, dont à peine la moitié était disponible, il n'existait qu'un seul camion citerne de 1800L, de l'outillage et des rechanges insuffisants. Le plus préjudiciable à ces unités fut le manque chronique de véhicules en général. Comme cela s'était produit en Malaisie le jour où la base dût être évacuée, une grande partie du matériel fut abandonnée, faute de pouvoir être transportée"

lundi 11 juillet 2005

855 - infatuation

... avec le recul de l'Histoire, seule l'infatuation des puissances occidentales à l'égard des "petits hommes jaunes" peut expliquer leur manque de préparation militaire, et la rapidité avec laquelle elles durent s'enfuir devant les troupes japonaises durant les premiers mois du conflit.

Bien que se sachant la première visée par une éventuelle attaque japonaise avide de s'emparer des ressources pétrolières, l'armée hollandaise d'Indonésie - il est vrai coupée de sa métropole depuis 1940 et ayant à défendre quantités d'îles - manquait autant de préparation que de ressources, et s'était trop longtemps persuadée de la capacité de ses obsolescents bombardiers Martin 139/B10 à détruire toute flotte d'invasion bien avant qu'elle ne parvienne à débarquer des troupes.

Les Australiens et Néo-Zélandais étaient déterminés mais trop peu nombreux, et songeant avant tout à défendre leurs propres côtes.

Sur le papier, les Britanniques disposaient de forces importantes à Ceylan, en Malaisie, à Singapour ou en Birmanie, mais les meilleures d'entre elles avaient depuis longtemps pris le chemin de la métropole pour combattre en Europe. N'étaient restés que du matériel de second plan - comme de vieux chasseurs Hurricane et Buffalo - des chefs incompétents, et des troupes trop souvent alanguies par le climat des Tropiques, comme en témoigna le major Wright dans un rapport de la Royal Australian Air Force (RAAF).

"Plusieurs jours après le début des combats [en Malaisie] j'eus l'énorme surprise de constater que, comme en temps de paix, le personnel au sol de la RAF continuait à ne travailler que le matin, de 7H30 à 12H30, avec une pause réglementaire de 15 minutes en milieu de matinée. La chaleur était, il est vrai, terrible. Toutefois, nous étions en guerre et les mécaniciens japonais, eux, travaillaient toute la journée. Nous pouvions et nous devions faire de même. (..) le commandant local de la RAAF fixa à huit heures la durée normale de travail quotidien pour son personnel au sol. Les Anglais refusèrent cette mesure et les squadrons de la RAF continuèrent de fonctionner avec des mécaniciens, des armuriers et des radios travaillant à mi-temps"

dimanche 10 juillet 2005

854 - Cap au Sud !

... la Conférence impériale du 6 septembre 1941 a décidé, sur l'insistance du Haut Commandement, qu'une guerre serait entreprise contre les États-Unis et la Grande Bretagne, sauf si un accord de dernière minute pouvait être trouvé à bref délai avec les États-Unis...

Mais sans même attendre la fin des pourparlers auxquels ils ne croient plus, les Japonais peaufinent leurs plans d'invasion, rassemblent la flotte et la mettent en route, en sorte qu'elle puisse attaquer dans la minute qui suivra la rupture officielle des négociations avec Washington.

Conçu par l'État-major du grand amiral Yamamoto, l'idée générale du plan consiste, dans un premier temps, à détruire la flotte américaine à Pearl Harbour, afin que les États-Unis ne puissent interférer à bref délai avec la vaste campagne d'invasion de tout le Pacifique occidental et de l'Asie du Sud-est. Dans un second temps, il s'agira de mobiliser les ressources des pays vaincus à l'avantage exclusif du complexe militaro-industriel japonais, de "bétonner le positions" (au propre comme au figuré), et de contraindre ainsi les Américains à négocier une paix permettant au Japon de conserver ses possessions

Le 16 octobre, le Premier ministre Konoye - jugé trop mou - est contraint à la démission, et remplacé par le très belliciste général Tojo. Le 30 novembre, une partie de la flotte japonaise appareille pour Hawaï. Le 2 décembre, elle reçoit l'ordre officiel d'attaque. Au matin du dimanche 7 décembre, elle écrase la flotte américaine au mouillage (Saviez-vous que... 653 à 656)

Dans les heures qui suivent, les forces armées japonaises envahissent tous le Pacifique Sud, attaquant tout à la fois les Américains à Wake et aux Philippines, les Anglais à Singapour ou à Hong Kong, et, bien sûr, les Hollandais en Indonésie, histoire d'obtenir du pétrole sans plus avoir à le payer...

samedi 9 juillet 2005

853 - la fuite en avant

... En juillet 1940, le Président Roosevelt, de plus en plus inquiet face à l'expansionnisme japonais, décrète l'embargo sur les exportations d'essence (à haut indice d'octane) pour avions.

Mais il en faut plus pour dissuader les militaires japonais qui, profitant de l'effondrement de la France, accentuent leur pression sur l'Indochine.

Le 30 août, Tokyo obtient le droit de passage au Tonkin, puis l'envahit purement et simplement le 22 septembre suivant, avant de signer, le 27 septembre, le "Pacte Tripartite" d'assistance militaire mutuelle avec l'Italie et l'Allemagne.

L'Indochine est riche en caoutchouc, mais c'est surtout le pétrole des Indes néerlandaises qui intéresse Tokyo. Un pétrole qui viendrait bien à point pour remplacer celui en provenance des États-Unis si les Hollandais, non contents d'exiger un paiement en dollars, ne calquaient leur position sur celle de leurs alliés américains.

Le 2 juillet 1941, le gouvernement japonais décide d'accentuer l'invasion vers le Sud, "même si cela implique de livrer une guerre aux États-Unis et à la Grande Bretagne". Cinq jours plus tard, le Japon envahit et occupe toute l'Indochine.

Cette fois, Washington tape du poing sur la table, gèle les avoirs nippons aux États-Unis, et interdit la vente de pétrole américain aux Japonais.

Washington espère ainsi amener Tokyo à de meilleurs sentiments et à évacuer l'Indochine française. Pour Tokyo, en revanche, un tel retrait est évidemment inacceptable.

Plutôt que de renoncer aux fruits de ses rapines, le gouvernement japonais choisit donc la fuite en avant : lorsque les négociations avec les Hollandais d'Indonésie en vue d'un approvisionnement alternatif en pétrole échouent, la Conférence impériale du 6 septembre 1941 décide, sur l'insistance du Haut Commandement, qu'une guerre sera entreprise contre les États-Unis et la Grande Bretagne, sauf si un accord - auquel plus personne ne croit - peut être trouvé à bref délai avec les États-Unis...

vendredi 8 juillet 2005

852 - Nord ou Sud ?

... A la fin des années 1930, les expansionnistes japonais sont divisés en deux clans, correspondant grosso-modo au clivage armée de terre/marine.

Solidement implantée en Mandchourie, l'armée de terre, qui commence à réaliser la vacuité de poursuivre l'offensive à travers les immensités chinoises, penche pour une attaque directe vers le Nord, c-à-d vers le pétrole de la Sibérie. La marine, au contraire, préconise une percée vers le Sud, vers le pétrole des Indes néerlandaises et, au delà, vers l'Australie.

En août 1939, "l'Incident du Nomonhan", une offensive japonaise lancée en direction du territoire soviétique, se termine par un véritable désastre. Si l'aviation nippone sait habilement tirer son épingle du jeu, l'armée de terre est en revanche écrasée par les fantassins et les tanks russes menés par un certain général Joukov, qui fera beaucoup parler de lui dans les années suivantes.

L'option "Nord" semble donc compromise. Elle le devient encore plus le 23 août, à la signature du pacte Molotov-Ribbentrop entre la Russie soviétique et l'allié allemand. Elle est définitivement enterrée à l'été 1941, lorsque l'occupation totale de l'Indochine entraîne un embargo sur les fournitures de pétrole américain.

La route du Sud est désormais grande ouverte

jeudi 7 juillet 2005

851 - l'enlisement















... motivés par leur sentiment de supériorité raciale tout autant que par la croyance en leur droit quasi divin de dominer les peuples d'Asie, les Japonais ont envahi la Chine, convaincus de n'en faire qu'une bouchée.

A la fin des années 1930, pourtant, l'armée impériale a commencé à piétiner, victime non pas de la bravoure des troupes chinoises, de l'intelligence de leurs chefs, ou de la qualité de leur matériel, mais tout simplement asphyxiée par l'immensité du pays et la multitude de ses habitants.

S'ils ne l'avouent jamais en public, les responsables japonais - qui ne se sont du reste jamais beaucoup préoccupés de logistique - commencent à comprendre que le Japon s'étouffera d'indigestion bien avant d'avoir pu avaler l'intégralité du gâteau chinois.

La Chine étant quasiment dépourvue de pétrole, s'y engager davantage ne fera qu'accroître les difficultés de ravitaillement des troupes, et l'ampleur du déficit pétrolier.

Il faut donc trouver une alternative à un enlisement devenu aussi inévitable que contre-productif, c-à-d définir un nouvel axe d'attaque, cette fois directement destiné à s'emparer d'un pétrole que les États-Unis - jusque là principal fournisseur - rechignent de plus en plus à livrer.

Reste à en définir la direction...

mercredi 6 juillet 2005

850 - pétrole, pétrole...

... pour s'emparer de la vaste "sphère de co-prospérité asiatique" à laquelle le Japon aspire, il faut des tanks, des navires de guerre et des avions de combat. Mais pour mouvoir ces tanks, ces navires et ces avions, il faut du pétrole... dont le Japon est dépourvu.

La solution la plus simple est évidemment d'acheter le pétrole directement aux États-Unis, alors premier producteur et exportateur mondial. Mais pour acheter ce pétrole, il faut des dollars que le Japon ne possède pas. Il faut aussi, et de plus en plus, vaincre les réticences du Congrès américain, non seulement peu soucieux de permettre au Japon de se tailler un empire en Asie - où les États-Unis ont également des intérêts - mais aussi de plus en plus préoccupé par la perspective d'une future guerre avec le Japon.

Aux réticences du Congrès et de la Maison Blanche s'ajoute l'opinion publique américaine, scandalisée par la révélation des innombrables massacres japonais en Chine, et notamment à Nankin

En juillet 1939, le gouvernement des États-Unis hausse le ton, et dénonce le traité commercial de 1911 avec le Japon. Il en faut cependant plus pour inquiéter Tokyo qui, un an plus tard, décide de profiter de l'effondrement de la France pour intervenir en Indochine française. En septembre 1940, le Japon s'empare donc du Tonkin, s'attirant les foudres de Washington.

En juillet 1941, l'armée japonaise pousse son avantage, et s'empare de toute l'Indochine. Cette fois, c'est la rupture : le 26 juillet 1941, l'intégralité des avoirs japonais aux États-Unis est gelé, et l'embargo sur le pétrole, décrété. Les Britanniques et les Hollandais - dont le gouvernement est réfugié à Londres depuis l'été 1940 - emboîtent immédiatement le pas des États-Unis, privant ainsi le Japon de plus de 80% de son pétrole (!)

Le retour à l'approvisionnement normal est subordonné à l'évacuation de l'Indochine, donc à l'aveu d'une défaite, perspective insupportable aux militaires japonais qui vont au contraire privilégier la surenchère militaire...

mardi 5 juillet 2005

849 - la montagne et la plume












... résolu à partir en guerre pour se procurer les territoires et matières premières qui lui manquent, le Japon se militarise très rapidement.

Dès le début des années 1930, les magasins de jouets nippons se mettent à ressembler à des arsenaux miniatures, et les écoles à de véritables terrains de manoeuvre, où chaque enfant apprend, sous une discipline de fer, à manier sabres et fusils en bois... et à détester ses futures victimes chinoises

A un écolier qui fond en larmes lorsque prié de disséquer une grenouille, son professeur, après l'avoir giflé, lui hurle "pourquoi pleures-tu sur cette stupide grenouille ? Quand tu seras grand, tu devras tuer cent, deux cents Chinois !"

Et aux rares visiteurs occidentaux, ces soldats miniatures offrent en vérité le fascinant spectacle de régiments marchant à l'unisson en agitant leurs petits drapeaux nationaux

Du reste, les exercices physiques et châtiments corporels innombrables les préparent à leur futur passage dans l'armée, où l'on extirpe d'eux ce qui reste d'individualisme, pour ne laisser que l'obéissance aveugle et le sens de l'Honneur et du sacrifice

Comme le souligne un dicton japonais, si le Devoir pèse plus qu'une montagne, la Mort est en revanche légère comme une plume...

lundi 4 juillet 2005

848 - le sentiment de supériorité

...Nankin, c'est d'abord et avant tout une monstrueuse boucherie, dans laquelle périssent quelque 300 000 Chinois.

Deux fois plus qu'à Hiroshima ou Nagasaki; deux fois plus qu'à Carthage, en - 146, lorsque les légionnaires de Scipion Émilien s'étaient emparés de la ville et avait passé tous les défenseurs au fil de l'épée; trois fois plus qu'à Delhi, en 1398, lorsque les guerriers de Tamerlan avaient exécuté 100 000 prisonniers "trop encombrants".

Nankin, c'est une ville où hommes, femmes, enfants, vieillards, sont exécutés à la mitrailleuse lourde, décapités au sabre, arrosés d'essence et brûlés vifs, ou encore liés vivants à des poteaux, pour que les soldats japonais puissent s'exercer au maniement de la baïonnette (Saviez-vous que... 358 à 382)

Nankin, ce sont des dizaines de milliers de femmes violées par la troupe, puis dépecées, éventrées, clouées aux portes, les seins coupés au couteau, une baïonnette dans le vagin.

Nankin, ce sont aussi des pères contraints de violer leur fille, et les enfants leur mère, sous le regard goguenard des soldats japonais qui, pour un mot en trop, font sauter les têtes ou enterrent vivants leurs prisonniers jusqu'à la taille,... avant de les regarder se faire dévorer par des bergers allemands.

Nankin, c'est enfin la matérialisation ultime du sentiment de supériorité raciale du Japonais sur le reste de l'Asie et, bientôt, sur les "Gaijins", les "long nez" occidentaux qui, parce qu'ils y sont arrivés les premiers, occupent la place et s'accaparent les ressources - en particulier le pétrole - que le Japon juge indispensables à la poursuite de sa destinée...

dimanche 3 juillet 2005

847 - l'appétit vient en mangeant

... trois ans après la signature du Traité de Washington de 1922, qui a reconnu le Japon comme troisième puissance navale au monde, le nationaliste Okawa Shumei écrit que la destinée du Japon est de "libérer l'Asie" et donc, inévitablement, d'entrer en guerre contre les États-Unis.

"Avant qu'un nouveau monde apparaisse, un combat mortel s'engagera entre les puissances de l'Ouest et de l'Est (...) Le Japon est le pays le plus puissant d'Asie, et les États-Unis le pays occidental le plus puissant. Ces deux pays sont destinés à s'affronter, et seul Dieu sait quand cela se produira" (*)

En 1934, le Japon parachève sa conquête de la Mandchourie, en plaçant sur le trône de cet État-fantoche le dernier empereur de Chine, le très insignifiant Puyi, entièrement dévoué sinon à leur cause, du moins à leur service.

L'appétit pour la Chine est désormais solidement aiguisé, et se poursuit par l'invasion du continent en juillet 1937.

Profitant de "l'incident du Pont Marco-Polo" - qu'ils ont eux-mêmes organisé - les soldats japonais bousculent les faibles défenses chinoises, s'emparent de Pékin, de Tientsin, de Shangaï, et finalement de Nankin, qui tombe le 13 décembre de la même année.

(*) Iris Chang, "The Rape of Nanking", page 27

samedi 2 juillet 2005

846 - les portes fermées


... de l'Allemagne, George Clémenceau a dit "qu'elle comptait vingt millions d'habitants de trop". Il aurait sans doute pu en dire autant du Japon, dont la population était passée de 30 millions d'habitants au début de la restauration des Meiji (1867) à près de 65 millions en 1930.

Pour nourrir pareille multitude, les agriculteurs japonais ont poussé les rendements à l'hectare jusqu'au maximum possible, mais le pays n'a bientôt plus eu d'autre choix que d'importer des denrées alimentaires, et en particulier du riz, dont les importations vont carrément tripler entre 1910 et 1920.

Dès le début des années 1920, les militaristes japonais se mettent à chercher une issue à cette dépendance de plus en plus criante.

"Il n'y a que trois manières pour le Japon d'échapper aux conséquences de l'excès de population", écrit l'un d'eux. "L'émigration, la conquête des marchés commerciaux, ou l'expansion territoriale. La première porte - l'émigration - nous est fermée depuis le vote de lois anti-migratoire par de nombreux pays étrangers. La seconde se referme à cause des barrières douanières et l'abrogation des traités commerciaux. Que peut faire le Japon lorsque deux de ces trois portes lui sont désormais fermées?" (*)

A l'instar du propagandiste Araki Sadao, plusieurs auteurs font alors opportunément observer que le Japon doit finalement nourrir 65 millions de personnes sur un territoire 40 fois moins étendu que le Canada ou l'Australie, par ailleurs 10 fois moins peuplés. De pareilles disparités, estiment-ils, sont profondément injustes et ne peuvent que justifier les revendications du Japon sur la Chine, ainsi que sa vocation à diriger l'Asie toute entière.

(*) cité par Iris Chang, "The Rape of Nanking, the forgotten holocaust of World War II", page 26

vendredi 1 juillet 2005

845 - une ascension fulgurante

... de l'ascension fulgurante du militarisme japonais en Asie et dans le Pacifique, à sa chute tout aussi fulgurante, l'on peut dire qu'elles furent toutes deux le résultat de multiples erreurs d'appréciation.

Rompant avec des siècles d'un isolement presque total, qui l'a notamment poussé à mettre à mort les rares étrangers s'échouant sur ses côtes, l'Empire du Soleil est devenu, dès la restauration des Meiji (vers 1860), la première puissance asiatique.

Au tournant du 20ème siècle, grâce à l'aide de l'Angleterre - qui lui a construit l'essentiel de sa marine de guerre - le Japon est parvenu, à la stupéfaction générale, à s'emparer non seulement de Formose (aujourd'hui Taiwan) en 1895, mais aussi à battre l'armée russe devant Port-Arthur (Mandchourie) et la flotte russe devant Tsu-Chi-Ma en 1905 (Saviez-vous que... 617 à 621), avant de conquérir et de coloniser la Corée en 1910.

Ayant combattu - quoique modestement - dans le camp des Alliés lors de la Première Guerre mondiale, le Japon a gagné ses galons de "grande nation", ainsi que le droit de discuter d'égal à égal avec la Grande-Bretagne et les États-Unis lors du Traité de Washington sur la réduction des armements navals, en 1922.

Un traité que les dirigeants japonais ne signent pourtant que de fort mauvaise grâce, tant ils sont convaincus que ce dernier les lèse injustement au profit de puissances occidentales plus que jamais désireuses de maintenir le Japon à un rang inférieur.

Lorsque Hirohito accède au Pouvoir, en 1926, le Japon est déjà une grande puissance, qui rêve de le devenir plus encore...